The Project Gutenberg eBook of Frankenstein Volume 1 (of 3), by Mary Wollstonecraft Shelley. (2024)

The Project Gutenberg EBook of Frankenstein, ou le Prométhée moderneVolume 1 (of 3), by Mary Wollstonecraft ShelleyThis eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and withalmost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away orre-use it under the terms of the Project Gutenberg License includedwith this eBook or online at www.gutenberg.org/licenseTitle: Frankenstein, ou le Prométhée moderne Volume 1 (of 3)Author: Mary Wollstonecraft ShelleyTranslator: Jules SaladinRelease Date: June 20, 2020 [EBook #62404]Language: FrenchCharacter set encoding: UTF-8*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK FRANKENSTEIN ***Produced by Laura Natal Rodrigues at Free Literature (Imagesgenerously made available by Gallica, Bibliothèque nationalede France.)

The Project Gutenberg eBook of Frankenstein Volume 1 (of 3), by Mary Wollstonecraft Shelley. (1)

FRANKENSTEIN,

OU

LE PROMÉTHÉE MODERNE.

DÉDIÉ A WILLIAM GODWIN,

AUTEUR DE LA JUSTICE POLITIQUE, DE CALEB WILLIAMS, etc.

Par Mme SHELLY, sa nièce.

TRADUIT DE L'ANGLAIS PAR J. S.***

Créateur, t'ai-je demandé de me tirer de
l'argile pour me faire homme? T'ai-je
sollicité de m'arracher du néant?

MILTON, Paradis perdu.

TOME PREMIER

PARIS,
CHEZ CORRÉARD, LIBRAIRE
PALAIS ROYAL, GALERIE DE BOIS, N.° 258.
1821

TABLE

PRÉFACE
LETTRE Ière
LETTRE II
LETTRE III
LETTRE IV
CHAPITRE Ier
CHAPITRE II
CHAPITRE III
CHAPITRE IV
CHAPITRE V
CHAPITRE VI
CHAPITRE VII

PRÉFACE

Le fait sur lequel repose cette fiction, n'a point paru impossible audocteur Darwin, et à quelques-uns des Écrivains physiologiques del'Allemagne. Je ne veux pas laisser croire que je suis porté à yajouter sérieusem*nt foi. Cependant, en le prenant pour base d'unouvrage d'imagination, je n'ai pas voulu simplement offrir une suited'histoires effrayantes et surnaturelles. L'événement dont dépendl'intérêt de cette histoire, sans présenter aucun des défauts d'unpur conte de spectres ou d'enchantements, se recommande par lanouveauté des situations qui y sont développées; et, malgrél'impossibilité du fait matériel, retrace à l'imagination lespassions humaines, d'un point de vue plus étendu et plus élevé queceux où l'on peut se placer dans le cours ordinaire de la vie.

Ainsi, j'ai essayé de conserver la vérité des principesélémentaires de la nature humaine, tandis que je ne me suis pas faitscrupule d'innover dans leurs combinaisons. Homère, dans l'Iliade;les Poètes tragiques de la Grèce; Shakespeare, dans la Tempête et leSonge au milieu d'une nuit d'été; et plus particulièrement Milton,dans le Paradis perdu, se conforment à cette règle; et le plusmodeste nouvelliste, qui cherche à plaire ou à s'amuser par sontravail, peut, sans présomption, appliquer à ce qu'il raconte, unelicence ou plutôt une règle de l'adoption de laquelle sont résultétant de combinaisons profondes des sentiments humains dans leschefs-d'œuvre les plus sublimes de la poésie.

La circonstance sur laquelle mon histoire est fondée, m'a étésuggérée par hasard dans une conversation. Elle fut commencée enpartie comme source d'amusem*nt, et en partie comme moyen d'exercer lesfacultés négligées de l'esprit. D'autres motifs s'y sont mêlés, àmesure que le travail avançait. Je ne suis nullement indifférent auxsensations morales dont sera affecté le lecteur sur les sentiments etles caractères qui y sont tracés; cependant mon premier soin s'estborné à éviter l'effet énervant que produisent les romans du jour,et à montrer le charme des affections domestiques ainsi quel'excellence de la vertu universelle. Les opinions, produitesnaturellement d'après le caractère et la position du héros, nedoivent pas être considérées comme le fruit de ma convictionpersonnelle; et rien de ce qui est contenu dans cet ouvrage, ne doitêtre regardé comme portant attaque à quelque doctrine philosophique,de quelque genre que ce soit.

Un autre motif, qui ajoute à l'intérêt de l'auteur, c'est que cettehistoire a été commencée dans le pays majestueux où se passe la plusgrande partie de l'action, et dans une société qu'il ne peut cesser deregretter.

Je passai l'été de 1816 dans les environs de Genève. La saison étaitfroide et pluvieuse: nous nous réunissions le soir autour d'un foyer,et nous nous amusions à lire, de temps en temps, quelques histoiresallemandes d'êtres surnaturels, que le hasard faisait tomber entre nosmains. Ces contes nous donnaient un vif désir de les imiter. Nousconvînmes avec deux de mes amis (dont l'un composa un roman qui feraitplus de plaisir au Public que je ne puis l'espérer pour moi-même),d'écrire chacun une histoire fondée sur quelqu'aventureextraordinaire.

Cependant le temps devint beau tout-à-coup, et mes deux amis mequittèrent pour faire un voyage dans les Alpes. Ils perdirent, aumilieu des scènes magnifiques que présentent ces montagnes, toutsouvenir de nos visions spirituelles. Le Roman suivant est le seul quiait été achevé.

FRANKENSTEIN
OU
LE PROMÉTHÉE MODERNE.

LETTRE Ière

À MADAME SAVILIE, EN ANGLETERRE.

Saint-Pétersbourg, 11 décembre 17—

«Vous serez bien aise d'apprendre qu'aucun malheur n'a troublé lecommencement d'une entreprise que vous avez envisagée avec de funestespressentiments. Je suis arrivé ici hier, et mon premier devoir estd'informer ma chère sœur que ma santé est bonne, et ma confiance plusgrande dans le succès de mon entreprise.

»Je suis déjà loin au nord de Londres; et, quand je me promène dansles rues de Saint-Pétersbourg, je sens se jouer sur mes joues la brisefroide du nord qui me resserre les nerfs et me remplit de volupté.Comprenez-vous cette sensation? Cette brise, qui est venue des régionsà travers lesquelles je m'avance, me donne un avant-goût de cesclimats glacés. Inspiré par ce vent précurseur, je sens que mesidées deviennent plus ardentes et plus vives. Je m'efforce en vain deme persuader que le pôle est le siège de la glace et de ladésolation, il se présente toujours à mon imagination comme le paysde la beauté et du plaisir. Là, Marguerite, le soleil est toujoursvisible; son large disque borde presque l'horizon, et répand un éclatperpétuel. De là (car, avec votre permission, ma sœur, j'auraiquelque confiance dans les navigateurs qui m'ont précédé), de là,dis-je, la neige et la glace sont bannies; et, naviguant sur une mercalme, on peut être transporté dans une terre qui surpasse en prodigeset en beauté tous les pays jusqu'ici découverts sur le mondehabitable. Ses productions et ses traits peuvent être sans exemple,comme les phénomènes des corps célestes le sont, sans doute, dans cessolitudes inconnues. Que ne peut-on pas espérer dans un pays où brilleune lumière éternelle? J'y découvre la puissance étonnante quiattire l'aiguille; et je puis fixer une foule d'observations célestesqui n'ont besoin que de ce voyage pour rendre invariables leursexcentricités apparentes. Je rassasierai mon ardente curiosité, envoyant une partie du monde qui n'a jamais été visitée avant moi, etje puis fouler une terre qui n'a jamais été pressée par les piedsd'un mortel. Voilà ce qui m'attire, et cela me suffit pour bannir toutecrainte du danger ou de la mort, et m'encourager à commencer cepénible voyage avec la joie qu'éprouve un enfant lorsqu'il s'embarquesur un petit bateau un jour de fête, avec ses camarades, pourl'expédition d'une découverte sur la rivière qui baigne son paysnatal. Mais, en supposant que toutes ces conjectures soient fausses,vous ne pouvez contester le service inappréciable que je rendrai àtoute l'espèce humaine, jusqu'à la dernière génération, endécouvrant, près du pôle, un passage à ces contrées, où, pourarriver, il faut maintenant plusieurs mois; ou bien en constatant lesecret du magnétisme, ce qui, à moins que ce ne soit impossible, nepeut avoir lieu que par une entreprise comme la mienne.

»Ces réflexions ont calmé l'agitation avec laquelle j'ai commencé malettre, et je sens mon cœur se remplir d'un enthousiasme qui m'élèvejusqu'au ciel; car rien ne contribue tant à tranquilliser l'espritqu'un projet bien ferme, sur lequel on puisse fixer son attention. Cetteexpédition a été le songe favori de mes premières années. J'ai luavec ardeur les récits des différents voyages qui ont été faits dansle but d'arriver à l'océan pacifique du nord, à travers les mers quientourent le pôle. Vous devez vous souvenir, que l'histoire de tous lesvoyages entrepris dans l'intention de faire des découvertes, composaitla bibliothèque entière de notre bon oncle Thomas. Mon éducation futnégligée; cependant j'aimais la lecture avec passion. J'étudiais ceslivres nuit et jour; et la connaissance que j'en eus, augmenta le regretque j'avais éprouvé, comme un enfant, en apprenant que mon père, aulit de la mort, avait défendu à mon oncle de me laisser embrasserl'état de marin.

»Ces visions s'affaiblirent lorsque je lus, pour la première fois, cespoètes dont les effusions pénétraient mon âme et l'élevaientjusqu'au ciel. Je devins poète aussi, et pendant une année je vécusdans un paradis de ma propre création. Je pensais pouvoir obtenir aussiune place dans le temple où sont consacrés les noms d'Homère et deShakespeare. Vous savez combien je me trompai, et quelle peine j'eus àsupporter mon malheur. Mais, justement, à cette époque, j'héritai dela fortune de mon cousin, et mes pensées se reportèrent à mespremières inclinations.

»Six ans se sont écoulés depuis que j'ai pris la résolution quej'exécute en ce moment. Je puis, même à présent, me souvenir del'heure où je me suis dévoué à cette grande entreprise. J'aicommencé par accoutumer mon corps à la fatigue. J'ai accompagné lespêcheurs de baleine dans plusieurs expéditions à la mer du Nord; j'aienduré volontairement le froid, la faim, la soif et l'insomnie;souvent, pendant le jour, je supportais des travaux plus rudes qu'aucundes matelots, et je passais mes nuits à étudier les mathématiques, lathéorie de la médecine, et ces branches de science physique dont unhomme ami des entreprises maritimes peut souvent tirer le plus grandavantage. Deux fois même je me suis engagé comme contremaître, pourla pêche du Groenland, et je me suis acquitté à merveille de mesfonctions. Je dois avouer que je sentis un petit mouvement d'orgueil,lorsque le capitaine m'offrit la seconde dignité du vaisseau, et mesupplia de rester, avec le plus grand empressem*nt, tant il appréciaitmes services.

»Et maintenant, ma chère Marguerite, ne mérité-je pas d'accomplirquelque grand projet. J'aurais pu passer ma vie dans l'aisance et leplaisir; mais j'ai préféré ma gloire à tous les attraits que larichesse plaçait devant moi. Ah! que quelque voix encourageante meréponde du succès! mon courage et ma résolution sont inébranlables;mais mes espérances sont incertaines, et mon esprit est souventhumilié. Je vais entreprendre un voyage long et difficile; les dangersque je courrai demanderont tout mon courage: j'aurai besoinnon-seulement de relever les esprits des autres, mais quelquefois desoutenir les miens lorsque les leurs se découragent et s'abattent.

»Cette saison est la plus favorable pour voyager en Russie. On vole surla neige dans des traîneaux; le mouvement en est doux, et, à mon avis,beaucoup plus agréable que celui d'une diligence anglaise. Le froidn'est pas excessif, lorsqu'on est enveloppé de fourrures; et j'aidéjà adopté ce costume, car il y a une grande différence de sepromener sur un pont, ou de rester assis pendant plusieurs heures, sansfaire un mouvement et sans qu'aucun exercice n'empêche le sang de seglacer dans les veines. Je n'ai nullement l'ambition de perdre la viesur la grande route entre Saint-Pétersbourg et Archangel.

»Je partirai pour cette dernière ville dans quinze jours ou troissemaines; et mon intention est d'y louer un vaisseau, ce qui est bienfacile en payant caution au propriétaire, et d'engager autant dematelots que je croirai nécessaires parmi ceux qui sont accoutumés àla pêche de la baleine. Je ne compte pas mettre à la voile avant lemois de juin: et quand reviendrai-je? Ah! ma chère sœur commentrépondre à cette question? Si je réussis, bien des mois, des annéespeut-être s'écouleront avant que nous puissions nous voir. Dans le cascontraire, vous me reverrez bientôt, ou jamais.

»Adieu, ma chère, mon excellente Marguerite, que le ciel verse survous ses bénédictions, et qu'il me conserve, afin que je puisse voustémoigner sans cesse ma reconnaissance pour toute votre amitié et vosbontés.

»Votre affectionné frère,

»R. WALTON».

LETTRE II

À MADAME SAVILLE, EN ANGLETERRE.

Archangel, 28 mars 17—

«Que le temps passe lentement ici, entouré comme je suis par la glaceet la neige! Cependant, j'ai fait un second pas dans mon entreprise;j'ai loué un vaisseau, et je suis occupé à rassembler mes marins,ceux que j'ai déjà engagés paraissent être des hommes sur lesquelsje puis compter, et sont doués, sans en pouvoir douter, d'un courageintrépide.

»Mais il est un objet, un seul objet dont je n'ai pu encore jouir, etl'absence de ce bien est pour moi le plus grand des maux. Je n'ai pasd'amis, Marguerite: si je suis animé par l'enthousiasme du succès, jen'aurai personne pour partager ma joie; si je tombe dans ledécouragement, personne n'essaiera de relever mon courage. Je confieraimes pensées au papier, il est vrai; mais c'est une triste ressourcepour l'épanchement de ce qu'on éprouve. Je voudrais avoir pourcompagnon un homme capable de sympathiser avec moi, dont les yeuxrépondissent aux miens. Vous pouvez me croire romantique, ma chèresœur; mais je sens cruellement le manque d'un ami. Que n'ai-je auprèsde moi une personne qui soit en même temps douce et courageuse, douéeà la fois d'un esprit cultivé et capable, dont les goûts ressemblentaux miens, et qui puisse approuver ou corriger mes plans. Combien unsemblable ami réparerait les fautes de votre pauvre frère! Je suistrop ardent dans l'exécution, et trop impatient des difficultés: maisce qui est pour moi un malheur encore plus grand, c'est que je n'aireçu qu'une demi-éducation; car pendant les quatorze premièresannées de ma vie, je courais dans les bois çà et là, et ne lisaisque les livres de voyages de notre bon oncle Thomas. À cet âge jedevins familier avec les poètes célèbres de notre patrie; je sentisaussi la nécessité d'apprendre d'autres langues que celle de mon paysnatal; mais cette conviction fut chez moi trop tardive pour que je puss*en recueillir les plus précieux avantages. J'ai maintenant vingt-huitans, et suis en vérité plus illettré que bien des écoliers de quinzeans. Il est vrai que j'ai réfléchi davantage, et que mes idées sontplus étendues et plus grandes; mais, comme disent les peintres, ellesmanquent de fond, et j'ai bien besoin d'un ami qui ait assez de bon senspour ne pas me regarder comme un romantique, et qui m'affectionne assezpour essayer de régler mon esprit.

»Plaintes inutiles! ce n'est certainement pas sur le vaste Océan queje trouverai un ami, non plus qu'à Archangel au milieu des marchands etdes marins. Cependant il y a place, dans ces cœurs, à des sentimentsqui semblent ne pouvoir s'allier avec l'écume de la nature humaine. Monlieutenant, par exemple, est un homme d'un grand courage et d'une audaceétonnante. Il aime la gloire avec passion. C'est un Anglais; et aumilieu des préjugés de son pays et de son état, qui ne sont pasadoucis par la culture, il conserve quelques-unes des plus noblesqualités de l'humanité. J'ai fait autrefois sa connaissance à bordd'un bâtiment destiné à la pèche de la baleine; je l'ai retrouvédans cette ville sans occupation, et je l'ai facilement engagé àm'assister dans mon entreprise.

»Le maître est un homme d'un talent très-distingué, et se faitremarquer sur le vaisseau par sa modération et la douceur de sadiscipline. Il est vraiment d'un naturel si bon, qu'il ne chassera pas(amusem*nt favori, et presque le seul qu'on trouve ici), parce qu'il nepeut souffrir de verser le sang; en outre, il est d'une générositéhéroïque. Il y a quelques années qu'il était amoureux d'unedemoiselle Russe, qui n'avait qu'une fortune médiocre. Possesseur d'uncapital considérable, amassé dans ses courses maritimes, il obtintsans peine que le père de la jeune fille consentît au mariage. Il lavit une fois avant le jour de la cérémonie: elle était baignée delarmes; elle tomba à ses pieds, le supplia de l'épargner, et lui avouaen même temps qu'elle aimait un jeune Russe, mais qu'il était pauvre,et que son père ne voudrait jamais les unir. Mon généreux ami rassuracette malheureuse personne, s'informa du nom de son amant, et abandonnade suite toute prétention. Il avait déjà acheté, de son argent, uneferme dans laquelle il avait le dessein de passer le reste de sa vie;mais il donna tout à son rival, et pour qu'il pût acheter du bétail,il joignit à son premier don le reste de ses profits dans les prises.Il sollicita lui-même le père de la jeune fille, pour qu'il consentîtà l'unir avec celui qu'elle aimait; mais le vieillard se croyantengagé d'honneur avec mon ami, refusa obstinément. Celui-ci, pourfléchir l'inexorable père, quitta son pays, et n'y revint quelorsqu'il apprit que sa maîtresse était mariée suivant soninclination. «Quel noble compagnon»! vous écrierez-vous. Tel est soncaractère; mais il a passé sa vie entière à bord d'un vaisseau, età peine a-t-il une idée hors des cordages et d'un hauban.

Mais si je me plains un peu, ou si je puis concevoir dans mes travauxune consolation que peut-être je ne connaîtrai jamais, ne croyez pasque je sois incertain dans mes résolutions; elles sont invariablescomme le destin; et mon voyage n'est maintenant différé, que jusqu'àce que le temps me permette de mettre à la voile. L'hiver a étéhorriblement dur; mais le printemps s'annonce favorablement, et cettesaison parait même fort avancée. Ainsi, je m'embarquerai peut-êtreplutôt que je ne m'y étais attendu. Je ne ferai rien avec témérité;vous me connaissez assez pour avoir confiance en ma prudence et en macirconspection, toutes les fois que la sûreté des autres est commiseà mes soins.

»Je ne puis vous dépeindre tout ce que j'éprouve en me voyant siprès de mettre mon entreprise à exécution. Il est impossible de vousdonner une idée de cette sensation incertaine, agréable et pénible àla fois, qui m'agite au moment de mon départ. Je vais dans des régionsinconnues, dans la patrie des brouillards et de la neige; mais je netuerai aucun albatros[1], ne soyez donc pas alarmée sur mon sort.

»Vous reverrai-je encore, après avoir traversé des mers immenses, etaprès avoir doublé le cap le plus au sud de l'Afrique ou del'Amérique? Je ne puis m'attendre à un pareil bonheur; et cependant jen'ose regarder le revers du tableau. Continuez à m'écrire par toutesles occasions: je puis recevoir vos lettres (quoique la chance soit fortdouteuse) au moment où j'en aurai le plus besoin pour soutenir moncourage. Adieu, adieu, je vous aime bien tendrement. Souvenez-vous demoi avec affection, dussiez-vous même ne plus entendre parler de votreaffectionné frère.

»ROBERT WALTON».

[1]Oiseau de mer.

LETTRE III

À MADAME SAVILLE, EN ANGLETERRE.

7 juillet 17—

Ma chère sœur,

«Je vous écris quelques lignes à la hâte, pour vous dire que je suisen bonne santé, et fort avancé dans mon voyage. Cette lettreparviendra en Angleterre par la voie d'un marchand qui retourned'Archangel dans sa famille; il est plus heureux que moi, qui, pendantquelques années, ne pourrai peut-être revoir ma patrie. Je suiscependant dans de bonnes dispositions: mes hommes sont courageux etsemblent fermes dans leurs projets. Ils ne paraissent pas découragéspar les bancs de glaces que nous rencontrons continuellement, et quinous indiquent les dangers du pays vers lequel nous nous dirigeons. Nousavons déjà atteint une latitude très-élevée, mais nous sommes dansle fort de l'été, et quoiqu'il ne fasse pas aussi chaud qu'enAngleterre, les vents du sud qui nous portent avec vitesse vers lesrives où je désire si ardemment arriver, renouvellent sans cesse unechaleur à laquelle je ne m'étais pas attendu.

»Jusqu'ici nul événement qui soit digne d'être rappelé. Un ou deuxcoups de vent et un mât brisé, sont des accidents dont un navigateurexpérimenté se souvient à peine de faire mention; et je serai bienheureux, s'il ne nous arrive rien de pire pendant notre voyage.

»Adieu, ma chère Marguerite. Soyez sûre que, par amour pour vous etpour moi-même, je n'irai pas témérairement au-devant du danger. Jeserai froid, persévérant et prudent.

»Rappelez-moi à tous mes amis d'Angleterre.

»Votre très-affectionné,

»ROBERT WALTON».

LETTRE IV

À MADAME SAVILLE, EN ANGLETERRE.

5 août 17—

«Nous venons d'être témoins d'un événement si étrange, que je nepuis m'empêcher de vous en faire part, quoiqu'il soit très-probableque vous me voyez avant que ce journal ne puisse vous parvenir.

»Lundi dernier (31 juillet), nous étions presque renfermés par laglace qui entourait le vaisseau de tous côtés, et lui laissait àpeine un espace dans lequel il flottait. Un brouillard épais, dont nousétions enveloppés, rendait notre situation assez dangereuse. Nousn'eûmes rien de mieux à faire qu'à rester en place, jusqu'à ce qu'ily eût un changement dans l'atmosphère et le temps.

»Vers deux heures, le brouillard se dissipa, et nous vîmes flotter, detoutes parts, des îles de glace immenses et irrégulières, quiparaissaient n'avoir pas de bornes. Quelques-uns de mes compagnons selamentaient, et mon esprit commençait à être agité d'inquiètespensées, lorsque tout à coup notre attention fut attirée par un objetsingulier, qui fit diversion à l'inquiétude que nous inspirait notresituation. Nous vîmes un chariot bas, fixé sur un traîneau et tirépar des chiens, passer au nord, à la distance d'un demi-mille: unêtre, qui avait la forme d'un homme, mais qui paraissait d'une staturegigantesque, était assis dans le traîneau et guidait les chiens. Nousobservâmes, avec nos télescopes, la rapidité de la course duvoyageur, jusqu'à ce qu'il fût perdu au loin parmi les inégalités dela glace.

»Cette vue excita parmi nous un étonnement dont nous ne pûmes nousrendre compte. Nous pensions être éloignés de terre de plusieurscents milles; mais cette apparition sembla prouver que la distancen'était réellement pas aussi grande que nous avions pu le croire.Cependant, cernés par la glace, il nous fut impossible de suivre latrace de ce que nous avions observé avec la plus grande attention.

»Environ deux heures après cette rencontre, nous entendîmes lecraquement de la mer; et avant la nuit la glace se rompit, etdébarrassa notre vaisseau. Néanmoins, nous restâmes en place jusqu'aumatin, dans la crainte de choquer, dans l'obscurité, contre ces grandesmasses détachées qui flottent de tous côtés après la rupture de laglace. Je profitai de ce moment pour me reposer pendant quelques heures.

»Dans la matinée, cependant, dès qu'il fut jour, je montai sur lepont, et trouvai tous les matelots rassemblés d'un seul côté duvaisseau, et ayant l'air de parler à quelqu'un qui était dans la mer.En effet, un traîneau semblable à celui que nous avions vu auparavant,s'était dirigé vers nous, pendant la nuit, sur un large morceau deglace. Il était conduit par un seul chien en vie, et portait un hommeauquel les matelots tâchaient de persuader d'entrer dans le bâtiment.Ce n'était pas, comme l'autre voyageur le paraissait, un habitantsauvage de quelqu'île inconnue, mais un Européen. Lorsque je parus surle pont, le contre-maître lui dit: «Voici notre capitaine, il ne vouslaissera pas périr au milieu de la mer».

»En me voyant, l'étranger m'adressa la parole en anglais, quoiqu'avecun accent étranger. «Avant que j'entre à bord de votre bâtiment,dit-il, voulez-vous avoir la bonté de m'informer de quel côté vousvous dirigez»?

»Vous devez concevoir mon étonnement, de m'entendre adresser unesemblable question par un homme qui était sur le bord de l'abîme, età qui mon vaisseau devait paraître un bien plus précieux, que tousceux dont on puisse jouir, sur la terre. Je répondis cependant que nousfaisions un voyage de découverte vers le pôle du nord.

»Il parut alors satisfait, et consentit à venir à bord. Bon Dieu!Marguerite, si vous aviez vu l'homme qui capitulait ainsi pour sonsalut, vous n'auriez pu revenir de votre surprise. Ses membres étaientpresque gelés, et son corps horriblement maigri par la fatigue et lasouffrance. Je n'ai jamais vu d'homme dans un état aussi pitoyable.Nous essayâmes de le porter dans la chambre; mais dès qu'il eutquitté le grand air, il s'évanouit. Nous le reportâmes donc sur lepont, et le rendîmes à la vie en le frottant d'eau-de-vie et en leforçant d'en avaler un peu. Dès qu'il montra signe de vie, nous eûmessoin de l'envelopper dans des couvertures, et de le placer auprès de lacheminée du poêle de cuisine. Il recouvra lentement connaissance, etmangea une petite soupe qui le restaura merveilleusem*nt.

»Deux jours se passèrent ainsi, sans qu'il fût capable de parler; etje craignais souvent que ses souffrances ne l'eussent privé de laraison. Lorsqu'il fut un peu rétabli, je le mis dans ma chambre, et euspour lui autant de soin que mes devoirs purent me le permettre. Je n'aijamais vu un être plus intéressant: ses yeux ont ordinairement uneexpression de fureur, et même de folie; mais, dans certains moments,quand on a une attention pour lui, ou qu'on lui rend le plus légerservice, toute sa figure est adoucie, et sa physionomie respire unsentiment de bienveillance et de douceur tel que je n'ai jamais vu. Ilest ordinairement plongé dans la mélancolie et le désespoir;quelquefois même il grince les dents, comme s'il n'était plus capablede supporter le poids des malheurs qui l'accablent.

»Lorsque mon hôte fut un peu rétabli, j'eus beaucoup de peine àéloigner ceux qui voulaient lui faire une foule de questions; car je nevoulais pas le laisser tourmenter par leur inutile curiosité, dans unétat de corps et d'âme dont l'amélioration dépendait évidemmentd'un entier repos. Une seule fois, cependant, le lieutenant lui demandapourquoi il était venu si loin sur la glace, dans un équipage sisingulier.

»Sa figure prit aussitôt l'expression du plus profond chagrin; et ilrépliqua: «Afin de poursuivre quelqu'un qui me fuyait.—Et l'homme quevous poursuiviez, voyageait-il de la même manière?—Oui,dit-il.—Alors je crois que nous l'avons vu; car, la veille du jour oùnous vous avons rencontré, nous avions aperçu quelques chiens tirantà travers la glace, un traîneau dans lequel était un homme».

»Ce peu de mots éveilla l'attention de l'étranger; et il fit unemultitude de questions pour savoir la route qu'avait tenue le démon(c'est ainsi qu'il l'appelait). Bientôt après, lorsqu'il fut seul avecmoi, il me dit: «J'ai, sans doute, excité votre curiosité, aussi bienque celle de ces braves gens; mais vous êtes trop délicat pour mefaire des questions.

»—Certainement; il serait très-indiscret et très-inhumain de mapart de vous faire de la peine pour satisfaire ma curiosité personnelle.

»—Et cependant vous ni avez tiré d'une position étrange etdangereuse; vous m'avez généreusem*nt rendu à la vie».

»Ensuite il me demanda si je croyais que la rupture de la glace eûtanéanti l'autre traîneau. Je lui dis que je ne saurais répondre aveccertitude; car la glace ne s'était guère brisée avant minuit, et levoyageur pouvait être arrivé ayant ce temps en lieu de sûreté; maisque je n'en pouvais juger.

»Depuis ce temps, l'étranger paraissait très-empressé à être surle pont, pour épier le traîneau qu'on avait vu auparavant; mais jel'ai engagé à rester dans la chambre, car il est beaucoup trop faiblepour soutenir la rigueur de l'atmosphère. J'ai promis que l'onobserverait pour lui, et qu'il serait averti sur-le-champ, si quelquenouvel objet s'offrait à la vue.

»Voilà mon journal jusqu'aujourd'hui, sur ce qui a rapport à notreétrange rencontre. L'étranger a insensiblement recouvré la santé,mais il est très-silencieux, et parait embarrassé lorsqu'un autre quemoi entre dans sa chambre. Cependant, ses manières sont si engageanteset si douces, que les matelots s'intéressent tous à son sort,quoiqu'ils aient eu très-peu de communication avec lui. Pour moi, jecommence à l'aimer comme un frère; et son chagrin profond et continuelm'attire vers lui, et m'inspire de la compassion. Il faut qu'il aitété un homme bien remarquable dans des jours plus heureux pour lui,puisque dans le malheur il est encore si attrayant et si aimable.

»Je disais dans une de mes lettres, ma chère Marguerite, que je netrouverais pas d'amis sur le vaste Océan, et pourtant j'ai trouvé unhomme que mon cœur aurait été heureux d'aimer comme un frère, avantque son âme eut été brisée par le malheur.

»Je continuerai de temps en temps mon journal sur cet étranger, sij'ai quelque chose de nouveau à vous apprendre».

13 août 17—

«Mon affection pour mon hôte augmente de jour en jour. Il excite dumoins mon admiration et ma pitié d'une manière étonnante. Commentpourrai-je voir un être aussi noble abîmé par le malheur, sanséprouver la plus vive douleur? Il est si doux et si sage à la fois;son esprit est si cultivé; et lorsqu'il parle, ses paroles, quoiquechoisies avec l'art le plus délicat, coulent avec une rapidité et uneéloquence incomparables.

»Il est maintenant très-bien rétabli, et il se tient continuellementsur le pont, pour épier sans doute le traîneau qui a précédé lesien. Cependant, quelque malheureux qu'il soit, il n'est pas sientièrement occupé de sa propre infortune, qu'il ne s'intéressevivement aux occupations des autres. Il m'a fait beaucoup de questionssur mon projet, et je lui ai raconté franchement ma petite histoire. Ila paru charmé de la confidence et a fait sur mon plan plusieursobservations dont je pourrai faire mon profit. Il n'y a pas depédanterie dans ses manières, et tout ce qu'il fait semble ne provenirque de l'intérêt qu'il prend naturellement au bien-être de ceux quil'entourent. Il est souvent abattu par le chagrin, et alors il s'observebeaucoup, et cherche à chasser tout ce qu'il y a de sombre oud'insociable dans son humeur. Ces paroxysmes fuient devant lui comme unnuage devant le soleil, quoique sa tristesse ne l'abandonne jamais. J'aitâché de gagner sa confiance, et je crois y avoir réussi. Je luiparlais un jour du désir que j'avais de trouver un ami qui pûtsympathiser avec moi et me diriger de ses conseils. Je lui dis que jen'appartenais pas à cette classe d'hommes qui s'offensent d'un avis.«Je n'ai reçu qu'une demi-éducation, et je ne puis avoir assez deconfiance en mes propres moyens. Je désire donc que mon compagnon soitplus sage et plus expérimenté que moi, afin de m'affermir et de mesoutenir; je n'ai pas cru qu'il fût impossible de trouver un véritableami».

«Je conviens avec vous, répliqua l'étranger, que l'amitié estnon-seulement un bien désirable, mais possible. J'eus autrefois un ami,dont l'âme était la plus noble qui fut sous le ciel: il m'est doncpermis de juger de la véritable amitié. Vous avez l'espérance et lemonde devant vous: ne désespérez de rien. Mais moi.... j'ai toutperdu, et je ne puis recommencer une nouvelle vie».

»En disant ces paroles, sa figure prit l'expression d'un chagrin calmeet profond, qui me toucha le cœur. Il se tut et se retira bientôt danssa chambre.

»Malgré l'abattement de son esprit, personne ne peut jouir plusvivement que lui des beautés de la nature. Un ciel étoilé, la mer ettoutes les vues que présentent ces régions étonnantes semblent encoreavoir le pouvoir d'élever son âme au-dessus de la terre. Un tel hommea une double existence: il peut supporter le malheur et être accablépar les revers; quand il est rentré en lui-même, on dirait d'un espritcéleste, entouré d'un nuage au travers duquel le chagrin ou la foliene peuvent pénétrer.

»Si vous riez de l'enthousiasme avec lequel je m'exprime sur cetaventurier extraordinaire, vous devez avoir certainement perdu de cettesimplicité qui était autrefois votre charme caractéristique.Cependant, si vous le voulez, souriez de la chaleur de mes expressions,tandis que j'ai tous les jours de nouveaux sujets de les répéter».

19 août 17—

«L'étranger me dit hier: «Vous pouvez voir facilement, capitaineWalton, que j'ai éprouvé de grands et incomparables malheurs. J'étaisdécidé d'abord à ensevelir avec moi le souvenir de ces maux, maisvous avez changé ma résolution. Vous cherchez les connaissances et lasagesse; moi aussi j'ai cherché ces biens. J'espère avec ardeur quel'accomplissem*nt de vos vœux ne deviendra pas pour vous, comme pourmoi, une cause de douleur. Je ne sais si l'histoire de mes infortunesvous sera utile; mais si vous le désirez, je vous en ferai le récit.Je crois que les événements étranges qui se lient à ma destinée,vous feront envisager la nature sous un point de vue capable d'agrandirvos facultés et votre intelligence. Vous entendrez parler de puissanceset d'aventures que vous êtes habitué à croire impossibles. Mais je nedoute pas que mon histoire ne porte avec elle l'évidence de la véritédes événements qui la composent».

»Vous devez concevoir facilement que je fus enchanté d'une offre de cegenre. Cependant je craignais qu'il ne renouvelât sa douleur par lerécit de ses infortunes. Je sentis le plus vif empressem*nt d'entendrel'histoire qu'il m'avait promise, tant pour satisfaire ma curiosité,que par un grand désir d'améliorer son sort, s'il était en monpouvoir. Je lui exprimai ces sentiments dans ma réponse.

»Je vous remercie, répliqua-t-il, de votre bonne volonté, mais elleest inutile; ma destinée est presque accomplie. Je n'attends plusqu'une chose, et alors je reposerai en paix. Je vous comprends,continua-t-il, en s'apercevant que je voulais l'interrompre; mais vousvous trompez, mon ami, si vous me permettez de vous appeler ainsi; rienne peut changer ma destinée: écoutez mon histoire, et vous verrezqu'elle est irrévocablement fixée».

»Il me dit alors qu'il commencerait le lendemain son récit, lorsquej'en aurais le temps. Cette promesse me fit faire de profondesréflexions, et j'ai résolu de consacrer mes loisirs du soir à écrirece qu'il m'aura raconté pendant le jour, en rapportant autant quepossible, ses propres expressions. Si je n'en ai pas le temps, jeprendrai du moins des notes. Ce manuscrit vous fera sans doute le plusgrand plaisir: mais pour moi, qui le connais, et qui apprendrai cela desa bouche, avec quel intérêt et quelle émotion je le relirai unjour»!

CHAPITRE Ier

Je suis né à Genève, et ma famille est une des plus considérables decette république. Mes ancêtres avaient été, depuis bon nombred'années, conseillers et syndics; et mon père avait rempli desfonctions publiques avec honneur et distinction. Il était respecté detous ceux qui le connaissaient, à cause de son intégrité, et de sonapplication infatigable à veiller aux intérêts de l'État. Il passales années de sa jeunesse continuellement occupé des affaires de sonpays, et il n'attendit pas le déclin de sa vie pour penser à semarier, et à laisser à l'État des fils qui puss*nt transmettre à lapostérité ses vertus et son nom.

Comme les circonstances de son mariage font honneur à son caractère,je ne puis m'empêcher de les rapporter. Il comptait parmi ses plusintimes amis un négociant qui, d'un état brillant, tomba dans lapauvreté, après toutes sortes de malheurs. Cet homme, qui se nommaitBeaufort, était d'un caractère orgueilleux et facile à sedécourager. Il ne put soutenir l'idée de vivre pauvre et oublié dansle même pays où il avait brillé par son rang et sa magnificence.Ayant donc payé ses dettes de la manière la plus honorable, il seretira avec sa fille dans la ville de Lucerne, où il vécut inconnu etmalheureux. Mon père aimait Beaufort de l'amitié la plus vraie; et ilfut profondément affligé d'une retraite à laquelle des circonstancesmalheureuses avaient donné lieu, et qui le privait d'une société quilui était chère. Il résolut d'aller le chercher et de l'engager àrecommencer le commerce, en profitant de son crédit et de sonassistance.

Beaufort avait pris toutes les mesures pour se cacher, et ce ne fut quedix mois après que mon père découvrit sa demeure. Charmé de cettedécouverte, il se rend à sa maison, qui était située dans une petiterue près le Reuss; mais lorsqu'il entra, il eut sous les yeux lespectacle de la misère et du désespoir. Beaufort avait sauvé desrestes de sa fortune, une très-petite somme d'argent, mais qui étaitsuffisante pour le soutenir pendant quelques mois; il espérait alorsobtenir un emploi respectable dans la maison d'un négociant. Enattendant, il n'avait pas d'occupation; et, se livrant, dans son loisir,aux plus tristes pensées, il fut en proie au chagrin le plus profond etle plus cruel, et tellement accablé d'esprit, que trois mois après, ilfut sur un lit de douleur, incapable d'aucun mouvement. Sa fille lesoignait avec la tendresse la plus touchante; mais elle voyait avecdouleur que leur petite somme diminuait rapidement, et qu'ils n'avaientplus d'autre ressource. Caroline Beaufort avait une âme d'une trempepeu commune, et elle s'arma de courage pour se soutenir dans sonadversité. Elle se procura une occupation honnête, tressa de lapaille, et, par différents moyens, tâcha de gagner de quoi subveniraux premiers besoins de la vie.

Plusieurs mois se passèrent ainsi. Son père devint plus mal; son tempsétait plus occupé à le soigner; ses moyens de subsistancediminuaient; et, en dix mois, son père mourut dans ses bras, lalaissant orpheline et sans ressources. Ce dernier coup l'accabla; etelle était à genoux devant le cercueil de Beaufort, pleurant àchaudes larmes, lorsque mon père entra dans la chambre. Il arriva commeun ange protecteur pour cette pauvre jeune fille, qui se confia à sessoins; après l'enterrement de son ami, il la conduisit à Genève et laconfia à une de ses parentes. Deux ans après cet événement, Carolinedevint sa femme.

Lorsque mon père fut devenu époux et père, il se trouva tellementoccupé par les devoirs de sa nouvelle position, qu'il abandonnaplusieurs de ses fonctions publiques pour se vouer à l'éducation deses enfants. J'étais l'aîné, et je devais lui succéder dans tous sestravaux et dans ses fonctions. Personne n'eut de plus tendres parentsque les miens. Mon éducation et ma santé étaient l'objet de leursollicitude continuelle, et d'une sollicitude d'autant plus vive, quependant plusieurs années je fus leur unique enfant. Mais, avant decontinuer mon récit, je dois rapporter un événement qui eut lieulorsque j'étais âgé de quatre ans.

Mon père avait une sœur qu'il aimait tendrement, et qui avaitépousé, très-jeune, un gentilhomme Italien. Peu de temps après sonmariage, elle avait accompagné son mari dans son pays; et, depuisquelques années, mon père n'avait eu que très-peu de rapport avecelle. Elle mourut vers l'époque dont j'ai parlé; et, peu de moisaprès, il reçut une lettre de son mari. Celui-ci lui faisait part deson intention d'épouser une Italienne, et priait mon père de secharger de sa fille Élisabeth, seul enfant qu'il eut eu de sa sœur.«Je désire, dit-il, que vous la considériez comme votre propre filleet que vous l'éleviez de même. La fortune de sa mère lui estassurée, et je vous en remettrai les titres. Réfléchissez à cetteproposition, et choisissez si vous voulez que votre nièce soit élevéepar vous-même ou par une belle-mère».

Mon père n'hésita pas, et alla aussitôt en Italie pour accompagner lapetite Élisabeth dans sa nouvelle demeure. J'ai souvent entendu dire àma mère, qu'elle était alors le plus bel enfant qu'elle eut jamais vu,et qu'elle montrait même un caractère doux et aimant. Cesdispositions, et le désir de resserrer aussi étroitement que possibleles nœuds de l'amour domestique, déterminèrent ma mère à regarderÉlisabeth comme ma femme future, projet dont elle n'eut jamais à serepentir.

Dès-lors Élisabeth Lavenza devint ma compagne de jeu; et lorsque nousavançâmes en âge, elle fut mon amie. Elle était douée d'unexcellent naturel, aussi gaie et aussi folâtre qu'un papillon.Quoiqu'elle fut vive et animée, ses sensations étaient fortes etprofondes; son caractère prodigieusem*nt aimant. Personne ne savaitmieux qu'elle jouir de sa liberté, personne aussi ne se soumettait avecplus de grâce à la nécessité et au caprice. Son imagination étaitbrillante quoiqu'elle fût capable d'une grande application. Ses traitsétaient l'image de son âme; ses yeux bruns, quoiqu'aussi vifs que ceuxd'un oiseau, avaient une douceur attrayante; sa figure était vive etanimée. Capable de supporter une grande fatigue, elle avait l'air de lafemme la plus délicate du monde. Plein d'admiration pour sonintelligence et son esprit, j'aimais à la suivre, comme j'aurais pu lefaire pour un animal favori; et je n'ai jamais vu tant de charmes dansla personne et dans l'esprit unis à si peu de prétention.

Tout le monde adorait Élisabeth. Si les domestiques avaient quelquechose à solliciter, c'était toujours par son intercession. Nousétions étrangers à toute espèce de désunion et de dispute; ilexistait, il est vrai, une grande différence dans nos caractères, maisil y avait même de l'harmonie dans cette opposition. J'étais pluscalme et plus réfléchi que ma compagne; cependant mon caractèren'était pas aussi doux. Mon application durait plus long-temps; maiselle était moins opiniâtre pendant sa durée. J'aimais à rechercherles faits qui ont rapport au monde physique; elle se plaisait à suivreles inspirations hardies des poètes. Le monde était pour moi un secretque je désirais pénétrer; pour elle, c'était un vide qu'ellecherchait à peupler d'êtres de sa propre imagination.

Mes frères étaient bien plus jeunes que moi; mais j'avais dans un demes condisciples un ami dont l'âge répondait au mien. Henry Clervalétait fils d'un négociant de Genève, intime ami de mon père.C'était un enfant d'un talent et d'une imagination extraordinaires. Jeme souviens, qu'à l'âge de neuf ans, il composa un conte de fées, quifaisait les délices et l'étonnement de tous ses camarades. Son étudefavorite était celle des romans et des livres de chevalerie; et,lorsque nous étions fort jeunes, je me rappelle que nous jouions despièces qu'il composait lui-même d'après ses livres, dont lesprincipaux personnages étaient Roland, Robin Hood, Amadis, etSaint-George.

Personne n'a pu passer une jeunesse plus heureuse que la mienne. Mesparents étaient indulgents et mes camarades aimables. Nos étudesn'étaient jamais forcées; et, par quelques moyens, nous avionstoujours devant nous un but qui nous excitait à les poursuivre avecardeur. Ce fut de cette manière, et non par l'émulation, que nousprîmes goût au travail. Ce n'était pas la crainte d'être surpasséepar ses compagnes, qui excitait Élisabeth à s'appliquer au dessin;mais le désir qu'elle avait de plaire à sa tante, en lui mettant sousles yeux quelque joli paysage qu'elle avait fait elle-même. Nousapprîmes le latin et l'anglais, afin de pouvoir lire les auteurs de cesdeux langues; et, au lieu de nous rendre l'étude odieuse par lespunitions, nous ne cessions d'aimer l'application; nos distractionseussent été des travaux pour d'autres enfants. Peut-être n'avons nouspas lu autant de livres, ou n'avons nous pas appris les langues aussipromptement que ceux qui sont enseignés d'après les méthodesordinaires; mais ce que nous avons appris nous est resté plusprofondément gravé dans la mémoire.

Je place Henri Clerval dans la description de notre cercle domestique,car il était constamment avec nous. Il allait à l'école avec moi, etpassait chez nous presque tous les après-midi; son père qui n'avaitque ce fils, était bien aise qu'il trouvât dans notre maison lescamarades qu'il ne pouvait lui donner chez lui; aussi nous n'étionsjamais tout-à-fait heureux lorsque Clerval était absent.

J'ai du plaisir à m'arrêter sur les souvenirs de mon enfance, avantque le malheur n'eût atteint mon esprit et changé ses idéeslumineuses sur l'utilité générale en des réflexions sur moi-même,profondes et rétrécies. Mais, en traçant le tableau de mes jeunesannées, je ne dois pas omettre ces événements qui me conduisirentinsensiblement au dernier degré du malheur: car, lorsque je me rendscompte de la naissance de cette passion qui régla ensuite ma destinée,je la vois sortir de sources impures et presqu'oubliées, comme unfleuve qui sort des flancs d'une montagne; mais, en croissantinsensiblement, elle est devenue le torrent, qui, dans sa course, adétruit toutes mes espérances et mon bonheur.

La philosophie naturelle est le génie qui a réglé ma destinée; jedésire donc, dans ce récit, établir les faits qui m'ont inspiré uneprédilection pour cette science. J'avais treize ans, lorsque nousfîmes tous une partie de plaisir, aux bains près de Thonon: le mauvaistemps nous obligea de rester toute une journée renfermés dansl'auberge, et le hasard fit tomber entre mes mains, dans cette maison,un volume des œuvres de Cornelius Agrippa. Je l'ouvris avecindifférence; la théorie qu'il cherche à démontrer et les faitsétonnants qu'il rapporte, changèrent bientôt ce sentiment enenthousiasme. Une nouvelle lumière sembla éclairer mon esprit; jebondis de joie, et fis part de ma découverte à mon père. Je ne puism'empêcher de faire remarquer ici les nombreuses occasions qu'ont lesinstituteurs, pour diriger les idées de leurs élèves vers desconnaissances utiles, et qu'ils négligent entièrement. Mon pèreregarda avec indifférence le titre de mon livre, et dit: «Ah!Cornélius Agrippa! Mon cher Victor, ne perdez pas voire tempslà-dessus, c'est une triste occupation».

Si, au lieu de cette remarque, mon père eût pris la peine dem'expliquer que les principes d'Agrippa avaient été tout-à-faitrejetés, et qu'on avait introduit un nouveau système de science, basésur des raisonnements plus puissants que l'ancien, parce que ceux-ciétaient chimériques, tandis que les autres étaient réels et mis enusage; oh! alors, j'aurais certainement jeté Agrippa de côté, et,avec une imagination échauffée comme la mienne, je me seraisprobablement appliqué à la théorie d'alchimie, la plus raisonnablequi soit résulté des découvertes modernes. Il est même possible quele cours de mes idées n'eussent jamais reçu la funeste impulsion quim'a conduit à ma perte. Mais le mépris vague que mon père avaitmontré pour mon livre, ne me prouvait nullement qu'il connût ce qu'ilcontenait, et je continuai de le lire avec la plus grande avidité.

Lorsque je fus de retour à la maison, mon premier soin fut de meprocurer tous les ouvrages de cet auteur, et ensuite ceux de Paracelseet du Grand Albert. Je lus et j'étudiai avec délices les rêvesténébreux de ces écrivains; ils me parurent des trésors connus àpeu d'autres personnes que moi; et, quoique je désirasse souvent faireconnaître à mon père ces secrètes profondeurs de la science,j'étais toujours retenu par la critique indéterminée qu'il avaitfaite de mon auteur favori. J'appris ma découverte à Élisabeth, sousle sceau du secret le plus strict; mais elle ne prenait pas d'intérêtà mon travail, et elle me laissait poursuivre seul mes études.

Il peut sembler très-étrange de voir dans le 18e siècle un discipledu Grand Albert; mais notre famille n'était pas scientifique, et jen'avais pas suivi les lectures recommandées aux écoles de Genève. Mesrêves n'étaient donc pas troublés par la réalité; et je me livraiavec ardeur à la recherche de la pierre philosophale et de l'élixir devie. Ce dernier objet obtint toute mon application: je le préférai àla richesse; et quelle gloire suivrait ma découverte, si jeréussissais à chasser la maladie du corps humain, et à ne rendrel'homme accessible qu'à une mort violente!

Mes idées ne se bornèrent pas là. L'apparition des esprits et desdémons était généreusem*nt promise par mes auteurs favoris: jecherchais avec ardeur l'accomplissem*nt de cette promesse; et, si mesenchantements restaient toujours sans succès, j'en attribuais la fauteplutôt à mon inexpérience et à mon ignorance, qu'à un défautd'habilité ou de bonne foi dans mes maîtres.

Les phénomènes de la nature qui s'offrent tous les jours à nos yeux,n'échappèrent pas à mes recherches. La circulation et les effetssurprenants de la respiration, dont mes autorités ignoraiententièrement la cause, excitèrent mon étonnement; mais, ce quim'étonna le plus, ce furent quelques expériences d'une pompe d'air,que je vis employée par une personne que nous avions l'habitude devoir.

L'ignorance des anciens philosophes sur ces points et sur d'autres,servit à leur faire perdre leur crédit auprès de moi; mais je nepouvais les quitter entièrement, avant qu'un autre système ne les eûtremplacés dans mon esprit.

À l'âge d'environ dix-sept ans, nous nous trouvions dans notre maison,auprès de Belrive, quand vint à éclater l'orage le plus violent et leplus terrible. Il s'avançait de l'autre côté des montagnes du Jura,et s'annonçait par les éclats du tonnerre qui retentissait deplusieurs côtés à la fois avec un fracas effrayant. Je restai, tantque l'orage dura, à observer ses progrès avec curiosité et plaisir.Pendant que je me tenais à la porte, je vis tout à coup une traînéede feu sortir d'un chêne antique et élevé, qui était à peu près àvingt pas de notre maison; et à peine la lumière cessa de briller, quele chêne disparut, et il ne restait plus qu'un tronc en ruines. Lelendemain matin nous allâmes le voir; l'arbre avait étésingulièrement brisé. Il n'était pas fendu par le choc, maisentièrement réduit en petit* éclats de bois. Je n'ai jamais rien vuqui fût si complètement détruit.

La ruine de cet arbre fut pour moi l'objet d'un vif étonnement; jequestionnai avec empressem*nt mon père sur la nature et l'origine dutonnerre et des éclairs. «L'électricité», répondit-il, endécrivant en même temps les différents effets de cette force. Ilconstruisit une petite machine électrique, et me fit quelquesexpériences; il fit aussi un cerf-volant, avec des cordes et un fil demétal, qui attirait des nuages le fluide électrique.

Ce dernier trait acheva de renverser Cornelius Agrippa, le Grand Albertet Paracelse, qui avaient si long-temps régné en maîtres dans monimagination. Mais, par quelque fatalité, je ne me sentis pas porté àcommencer l'étude d'un système moderne, et ce dégoût eut pour causela circonstance suivante.

Mon père avait témoigné le désir que je suivisse un cours de leçonssur la philosophie naturelle, et j'y avais consenti avec plaisir. Unaccident m'empêcha de suivre ces leçons jusqu'à la fin, et ladernière que je pris était tout-à-fait inintelligible pour moi. Leprofesseur discourait avec la plus grande abondance sur le Potassium etle Boron, les sulfates et les oxides, termes auxquels je ne pouvaisappliquer d'idée. Je pris en dégoût la science de la philosophienaturelle, quoique je lusse encore avec plaisir Pline et Buffon, auteursqui, suivant moi, étaient d'un intérêt et d'une utilité à peu prèssemblables.

Mes occupations, à cette époque, étaient principalement lesmathématiques, et la plupart des branches d'étude qui appartiennent àcette science. Je m'occupais aussi beaucoup à apprendre les langues; leLatin m'était déjà familier, et je commençais à lire quelques-unsdes auteurs Grecs les plus faciles sans le secours d'un Lexicon. Jecomprenais parfaitement aussi l'Anglais et l'Allemand. Voilà lanomenclature de ce que je savais à l'âge de dix-sept ans; et vousdevez penser que mes moments étaient entièrement occupés pouracquérir et conserver la connaissance de ces différenteslittératures.

J'eus aussi une autre tâche à remplir; je devins l'instituteur de mesfrères. Ernest était de six ans plus jeune que moi et mon principalélève. Il avait eu une mauvaise santé dans son enfance, pendantlaquelle Élisabeth et moi nous avions eu pour lui des soins assidus.Son caractère était doux, mais il était incapable de touteapplication sérieuse. Guillaume, le plus jeune de la famille, étaitencore enfant, et c'était le plus beau petit drôle du monde; ses yeuxbleus et vifs, ses joues ornées de deux fossettes, et ses manièrescaressantes inspiraient la plus tendre affection.

Tel était notre cercle domestique, dont les soucis et les chagrinssemblaient bannis pour toujours. Mon père dirigeait nos études, et mamère partageait nos plaisirs. Aucun de nous n'avait la plus légèresupériorité sur l'autre, nous ne connaissions pas la voix ducommandement; mais une affection mutuelle nous portait à condescendreet à obéir au moindre désir de chacun.

CHAPITRE II

Je venais d'atteindre ma dix-septième année, quand mes parents prirentla résolution de m'envoyer étudier à l'université d'Ingolstadt.J'avais d'abord suivi les écoles de Genève; mais mon père pensa qu'ilétait nécessaire, pour le complément de mon éducation, de me faireconnaître d'autres usages que ceux de mon pays natal. Mon départ futdonc prochainement fixé; et, avant que le jour marqué ne fût venu,j'éprouvai le premier malheur de ma vie..... présage de ceux quim'attendaient.

Élisabeth avait eu la fièvre rouge, mais sans aucun symptôme dedanger. Elle ne tarda pas à recouvrer la santé. Pendant le temps de lamaladie, on avait tout fait pour persuader à ma mère de ne pas lavoir. Elle s'était d'abord rendue à nos supplications; mais,lorsqu'elle apprit que sa chère nièce se rétablissait, elle ne put sepriver davantage de sa société, et entra dans sa chambre long-tempsavant que l'air ne fut sans danger. Les conséquences de cetteimprudence furent funestes. Le troisième jour, ma mère tomba malade;sa fièvre prit un caractère de malignité, et nous vîmes sur levisage de ceux qui la soignaient l'augure du plus triste événement. Aulit de la mort, le courage et la bonté de cette femme admirable nel'abandonnèrent pas. Elle joignit les mains d'Élisabeth et lesmiennes: «Mes enfants, dit-elle, j'envisageais dans votre union le plusferme espoir de mon bonheur futur. Cette perspective sera maintenant laconsolation de votre père. Élisabeth, mon amie, vous me remplacerezauprès de vos plus jeunes cousins. Hélas! je regrette d'êtreséparée de vous; heureuse et aimée comme je l'étais, commentn'aurais-je pas quelque peine de vous quitter tous? Mais ces pensées neme conviennent point; je lâcherai de me résigner à la mort, etj'espère que nous nous reverrons dans un autre monde».

Elle mourut avec calme, et en conservant sur son visage inanimél'expression de la tendresse. Je n'ai pas besoin de vous décrire lessentiments de ceux dont les nœuds les plus chers sont rompus par leplus irréparable des maux, le vide qui est dans le cœur et la douleurqui est empreinte sur les figures. Il faut tant de temps pour quel'esprit puisse se persuader que celle que nous voyions tous les jourset dont existence même semblait liée à la nôtre, est perdue àjamais...; que l'éclat enchanteur de ses yeux est éteint; et que leson d'une voix si familière et si chère à l'oreille, est étouffépour n'être plus entendu. Telles sont les réflexions auxquelles on selivre les premiers jours; mais lorsque le laps du temps a prouvé laréalité du mal, la douleur commence à se faire sentir plus vivement.Et à qui la main terrible de la mort n'a-t-elle pas enlevéquelqu'affection bien chère? Pourquoi vous peindre un chagrin que toutle monde a éprouvé ou doit éprouver? Le temps arrive enfin, où ladouleur est plutôt une consolation qu'un mal; et le sourire n'est pasbanni de nos lèvres, quoiqu'il paraisse un sacrilège. Ma mèren'était plus, mais nous avions encore des devoirs à remplir; car nousdevons continuer notre vie dans le calme, et nous trouver heureux, tantqu'il nous reste un être sur qui la faulx de la mort ne s'est pas encoreappesantie.

Mon voyage à Ingolstadt, qui avait été différé par cesévènements, fut décidé de nouveau. J'obtins de mon père un délaide quelques semaines. Ce temps se passa fort tristement. La mort de mamère et mon prompt départ accablaient nos esprits; mais Élisabethcherchait à ramener la gaîté dans notre petite société. Depuis lamort de sa tante, son esprit avait acquis une nouvelle fermeté et unenouvelle force. Elle se détermina à remplir ses devoirs avec la plusgrande exactitude, et elle sentit que le devoir le plus impérieux quilui était imposé, était de rendre heureux son oncle et ses cousins.Elle me consolait, amusait son oncle, instruisait mes frères; jamaiselle ne me parut aussi charmante qu'à cette époque, où elles'efforçait continuellement de contribuer au bonheur des autres, ens'oubliant entièrement elle-même.

Le jour de mon départ arriva enfin. J'avais pris congé de tous mesamis, excepté de Clerval, qui passa avec nous la dernière soirée. Ils'affligeait amèrement de ne pouvoir m'accompagner: mais il étaitretenu chez son père, dont l'intention était de l'associer dans sesaffaires, et dont le grand principe était que la science est inutiledans le commerce ordinaire de la vie. Henry avait un esprit plusélevé: il n'avait, nullement le désir de ne rien faire, et s'ilétait bien aise de devenir l'associé de son père, il pensait aussiqu'on pouvait être un fort bon négociant, et en même temps avoir unesprit cultivé.

Nous restâmes très-tard à écouter ses plaintes et à faire plusieurspetit* arrangements pour l'avenir. Je partis le lendemain matin de bonneheure. Des pleurs coulaient des yeux d'Élisabeth; elle ne pouvait lesretenir en songeant que mon départ la laissait dans le chagrin, et quele même voyage avait été fixé trois mois auparavant, lorsque labénédiction d'une mère m'aurait accompagné.

Je me jetai dans la chaise qui devait m'emmener, et me livrai auxréflexions les plus mélancoliques. J'étais seul maintenant, moi, quiavais été toujours entouré d'aimables compagnons, dont l'unique soinétait d'être agréables l'un à l'autre. Dans l'université verslaquelle je me rendais, il fallait me faire mes amis et être moi-mêmemon protecteur. Jusqu'ici, ma vie avait été tout-à-fait domestique etretirée; j'en gardai une répugnance invincible pour les nouveauxvisages. J'aimais mes frères, Élisabeth et Clerval; c'étaient pourmoi d'anciennes figures qui m'étaient familières; mais je ne mecroyais nullement fait pour la société des étrangers. Telles étaientmes réflexions lorsque je commençai mon voyage; mais à mesure quej'avançais, mon courage et mes espérances se relevaient. J'avais unvif désir d'apprendre. Souvent, chez mon père, j'avais trouvépénible de passer ma jeunesse, attaché à la même place; j'auraisvoulu entrer dans le monde, et prendre ma place parmi les autres hommes.À présent que mes désirs étaient accomplis, c'eût été une foliede m'en repentir.

J'eus tout le temps de me livrer à ces réflexions et à bien d'autrespendant mon voyage à Ingolstadt, qui fut long et fatigant. Enfin,j'aperçus les clochers blancs et élevés de la ville. Je descendis devoiture, et je fus conduit dans mon appartement solitaire pour passer lasoirée comme il me plairait.

Le lendemain matin, je remis mes lettres d'introduction; je ne manquaipas de rendre visite à quelques-uns des principaux professeurs, etentr'autres à M. Krempe, professeur de philosophie naturelle. Il mereçut avec politesse, et me fit plusieurs questions sur mes progrèsdans les différentes branches de science qui appartiennent à laphilosophie naturelle. Je lui nommai, non sans crainte et sanshésitation les seuls auteurs que j'eusse jamais lus sur ce sujet. Leprofesseur me regarda fixement: «Avez-vous, dit-il, réellement perduvotre temps à étudier de pareilles absurdités»?

—«Je vous ai dit la vérité», répondis-je.—«Chaque minutecontinua M. Krempe avec chaleur, chaque moment que vous avez passé surces livres est tout-à-fait et complètement perdu. Vous avez chargévotre mémoire de systèmes repoussés et de noms inutiles. Grand Dieu!Dans quel désert avez-vous habité, puisque personne n'a été assezbon pour vous apprendre que ces rêves, dont vous vous êtes pénétréavidement, sont enfantés depuis mille ans, et sont aussi méprisésqu'ils sont anciens? Je ne m'attendais guère à trouver dans ce siècleéclairé et savant, un disciple du Grand Albert et de Paracelse. Moncher monsieur, il faut recommencer entièrement vos études».

Après avoir ainsi parlé, il se mit à l'écart, et écrivit une listede plusieurs livres qui traitaient de la philosophie naturelle. Ilm'invita à les acheter; et il prit congé de moi, en me prévenantqu'au commencement de la semaine suivante, il ouvrirait un cours sur laphilosophie naturelle dans ses rapports généraux, et que M. Waldman,son collègue, en ferait un sur l'alchimie, alternativement avec lesien.

Je retournai chez moi sans être désappointé, car il y avait longtempsque je regardais comme passés de mode, les auteurs que le professeuravait réprouvés avec tant de force; mais je ne me sentis pastrès-porté à étudier les livres dont j'avais fait emplette à sarecommandation. M. Krempe était un petit homme ramassé, dont la voixétait rude, et la figure repoussante; ainsi le maître ne me disposaitpas, en faveur de la doctrine. Du reste, j'avais du mépris pour lesusages de la philosophie naturelle du jour. Quelle différence avec lesmaîtres de la science, quand ils cherchaient l'immortalité et le grandsecret! Leurs vues étaient grandes, quoique futiles. Mais depuis, lascène était changée; l'ambition des nouveaux savants semblait seborner à détruire ces visions qui me portaient vers la science, avecle plus d'intérêt. Il fallait changer des chimères d'une grandeursans bornes, contre de misérables réalités.

Telles furent mes réflexions pendant les deux ou trois premiers joursque je passai presque dans la solitude. Mais au commencement de lasemaine suivante, je pensai à ce que M. Krempe m'avait dit sur lescours. Et, quoique je ne puss* consentir à aller entendre ce petitpédant débiter des sentences dans une chaire, je me rappelai ce qu'ilavait dit de M. Waldman, qui avait été absent jusqu'alors, et que jen'avais jamais vu.

Soit par curiosité, soit par oisiveté, j'allai dans la salle descours: M. Waldman y entra un instant après. Ce professeur neressemblait pas à son collègue. Il paraissait avoir environ cinquanteans, et portait sur son visage l'expression de la plus grande bonté:quelques cheveux gris couvraient ses tempes; des cheveux presque noirsgarnissaient le derrière de sa tête. Il était petit, maistrès-droit, et doué du plus doux organe. Il commença son cours par unprécis de l'histoire de l'alchimie et des différentes découvertesdues à plusieurs savants, prononçant avec chaleur les noms de ceux quis'étaient le plus distingués par ces découvertes. Il fit alors untableau rapide de l'état actuel de la science, et expliqua plusieurstermes élémentaires. Après avoir fait quelques expériencespréparatoires, il termina par un panégyrique de l'alchimie moderne, endes termes que je n'oublierai jamais.

«Les anciens maîtres en cette science, dit-il, promettaient des chosesimpossibles, et n'accomplissaient rien. Les professeurs modernespromettent très-peu: ils savent qu'on ne peut changer les métaux, etque l'élixir de vie est une chimère. Mais ces philosophes, dont lesmains ne semblent faites que pour tremper dans la boue qui semblentn'avoir des yeux que pour observer au travers d'un microscope ou dans lecreuset, ont en effet produit des miracles. Ils pénètrent les secretsde la nature, et montrent ses effets dans les endroits les plus cachés.Ils pénètrent jusqu'aux cieux; ils ont découvert la circulation dusang, et analysé l'air que nous respirons. Ils ont acquis des pouvoirsnouveaux et presqu'illimités; ils commandent aux foudres du ciel,imitent les tremblements de terre, et bravent même les ombres du mondeinvisible».

Je me retirai enchanté du professeur et de sa leçon; j'allai le soirmême lui rendre visite. Ses manières chez lui étaient encore plusdouces et plus attrayantes qu'en public; car, pendant son cours, il yavait sur son visage une certaine dignité qui, en particulier, faisaitplace à la plus grande affabilité et à beaucoup de politesse. Ilécouta avec attention la petite histoire de mes études, et sourit auxnoms de Cornelius Agrippa et de Paracelse, mais sans le mépris qu'avaitmontré M. Krempe. Il me dit que, «c'était au zèle infatigable de ceshommes, que les philosophes modernes étaient redevables de la plupartdes principes de leur science; qu'ils nous avaient laissé la tâcheplus facile, de donner les noms, et de classer avec ordre les faitsqu'ils avaient puissamment contribué à mettre au grand jour. Lestravaux des hommes de génie, quoiqu'erronés, finissent toujours partourner au profit de l'espèce humaine». J'écoutais son raisonnement,qui était prononcé sans orgueil ni affectation; j'ajoutai alors, quesa leçon avait dissipé mes préjugés, contre les alchimistesmodernes; et en même temps, je lui demandai ses conseils sur les livresque je devais me procurer.

«Je suis heureux, dit M. Waldman, de m'être fait un élève; et sivotre application égale votre habileté, je ne doute pas que vous neréussissiez. L'alchimie est la branche de la philosophie naturelle danslaquelle on a fait et pourra faire le plus de progrès. Voilà pourquoij'en ai fait mon étude particulière, mais en même temps je n'ai pasnégligé les autres branches de cette science. On ne serait qu'un bienmédiocre alchimiste, si l'on ne s'adonnait qu'à cette partie seule desconnaissances humaines. Si vous avez le désir de devenir vraiment unsavant, et non simplement un petit faiseur d'expériences, je vousengagerai à cultiver toutes les branches de la philosophie naturelle,ainsi que les mathématiques».

Il m'introduisit alors dans son laboratoire, et m'expliqua l'usage deses différents instruments; il me montra tous ceux que je devais avoir,et me promit de me prêter les siens, lorsque j'aurais assezd'expérience pour ne pas en déranger le mécanisme. Il me donna aussila liste des livres que j'avais demandés, et je pris congé de lui.

Ainsi finit cette journée mémorable pour moi; elle décida de monavenir.

CHAPITRE III

Depuis ce jour, je me livrai presqu'exclusivement à l'étude de laphilosophie naturelle, et surtout de l'alchimie, dans le sens le plusétendu de ce mot. Je lus avec ardeur les ouvrages qui ont étécomposés sur cette science par les observateurs modernes, et oùbrillent à un haut degré leur génie et leur discernement. Je suivisles cours, je fréquentai les savants de l'université; et je reconnusmême en M. Krempe beaucoup de bon sens et un vrai savoir, joints, ilest vrai, à une physionomie et à des manières repoussantes, mais quine diminuaient pas le mérite de ses connaissances. Je trouvai unvéritable ami dans M. Waldman. Sa douceur n'était jamais altérée parun ton tranchant; il donnait ses leçons avec un air de franchise et debonté qui éloignait toute idée de pédanterie. Ce fut, peut-être,l'aimable caractère de cet homme qui m'entraîna le plus vers la partiede philosophie naturelle qu'il enseignait, qu'un goût intime pour lascience même. Mais cette disposition d'esprit ne dura que dans lespremiers moments de mes études: car, plus je pénétrais dans lascience, et plus je la poursuivais exclusivement pour elle-même. Cetteapplication, qui d'abord avait été un devoir et un ordre, devintalors si ardente et si vive, que souvent les étoiles avaient disparudevant la clarté du matin, que j'étais encore à travailler dans monlaboratoire.

Avec une application aussi opiniâtre, il est facile de concevoir que jefis de rapides progrès. Mon ardeur faisait l'étonnement desétudiants, et mes succès celui des maîtres. Le professeur Krempe medemandait souvent, avec un sourire moqueur, comment allait CorneliusAgrippa; tandis que M. Waldman se réjouissait hautement de mesprogrès. Deux ans se passèrent ainsi, sans que j'allasse à Genève;j'étais attaché, de cœur et d'âme, à la poursuite de quelquesdécouvertes que je désirais faire. Il n'y a que ceux qui en ont faitl'épreuve, qui puissent comprendre les attraits de la science. Dans desétudes quelconques on peut atteindre ceux qui nous ont précédés,mais on ne peut guère les surpasser; dans l'étude des sciences, aucontraire, il y a un aliment continuel pour les découvertes, et dessujets toujours nouveaux d'étonnement. Un esprit d'une capacitéordinaire, qui se renferme strictement, dans une seule étude, doitinfailliblement y faire de grands progrès; j'avais constamment cherchéà atteindre l'objet que j'avais en vue; je n'étais uniquement occupéque de cet objet; aussi, je me signalai par des progrès si rapides,que, deux ans après, je fis plusieurs découvertes pour perfectionnerquelques instruments d'alchimie, ce qui me valut beaucoup d'estime et deconsidération dans l'université. Parvenu à ce point, et devenu aussihabile dans la théorie et dans la pratique de la philosophie naturellequ'il dépendait des professeurs d'Ingolstadt, je jugeai que marésidence dans cette ville n'était plus nécessaire à mes progrès.Je pensais à retourner au milieu de mes amis et dans ma ville natale,lorsqu'un événement m'obligea de rester.

Un des phénomènes qui avaient particulièrement attiré mon attention,était la structure du corps humain, et même de tout être animé. Jeme demandais même souvent, d'où pouvait procéder le principe de lavie. Cette question était hardie: c'était même un mystère aux yeuxdu monde; et, cependant, que de choses nous pourrions apprendre, si lalâcheté ou l'insouciance n'arrêtaient pas nos recherches. Cespensées s'agitèrent dans mon esprit, et me déterminèrent à étudierdésormais plus particulièrement les parties de la philosophienaturelle qui ont rapport à la physiologie. Sans un enthousiasmepresque surnaturel, mon application à cette étude eût été pleine dedégoûts, et presque insupportable. Pour examiner les causes de la vie,nous devons d'abord avoir recours à la mort. J'appris l'anatomie: maiscette science ne suffisait pas; il fallut aussi que j'observasse ladécomposition naturelle et la corruption du corps humain. Enm'élevant, mon père avait pris les plus grandes précautions, pourqu'on ne remplit pas mon esprit d'horreurs surnaturelles. Je ne mesouviens pas d'avoir jamais frissonné au récit d'un contesuperstitieux, ou d'avoir eu peur de l'apparition d'un fantôme.L'obscurité ne faisait aucun effet sur mon imagination; et uncimetière n'était pour moi que le réceptacle des corps privés de lavie, qui, après avoir été le siège de la beauté et de la force,étaient devenus la pâture des vers. Je me mis à examiner la cause etles progrès de cette décomposition, et je fus forcé de passer desjours et des nuits au milieu des tombeaux et dans des charniers. Jeportais mon attention sur tous les objets les plus désagréables à ladélicatesse des sensations humaines. J'examinai combien la belle formede l'homme était dégradée et ravagée; je vis la corruption de lamort remplacer l'éclat d'un visage animé, et les vers hériter desmerveilles de l'œil et du cerveau. Je m'arrêtais à observer et àanalyser toutes les minuties de notre être, dévoilées dans le passagede la vie à la mort, lorsque, du milieu de cette obscurité, unelumière soudaine vint éclairer mon esprit. Elle était si brillante,si merveilleuse, et pourtant si naturelle, que je fus à la fois éblouipar l'immense clarté qu'elle répandait, et surpris que, parmi tantd'hommes de génie dont les recherches avaient eu pour but la mêmescience, je fusse le seul destiné à découvrir cet étonnant secret.

Rappelez-vous que je ne rapporte pas la vision d'un fou: ce quej'affirme est aussi vrai que le soleil brille dans les cieux. Que cesoit par un miracle, il n'en est pas moins vrai que les progrès de ladécouverte sont distincts et probables. Après des jours et des nuitsd'un travail et d'une fatigue incroyables, je parvins à connaître lacause de la génération et de la vie; je devins même capable d'animerune matière inerte.

L'étonnement où me jeta cette découverte, fit bientôt place auplaisir et au ravissem*nt. Après avoir consumé tant de temps à destravaux pénibles, n'était-ce pas pour moi la récompense la plusdouce, que d'arriver enfin au terme de mes désirs? Mais cettedécouverte était si grande et si élevée, que tous les degrés parlesquels j'y avais été progressivement conduit, furent oubliés: je nevis que le résultat. Ce qui, depuis la création du monde, avait étél'objet des études et des désirs des hommes les plus sages, étaitmaintenant en mon pouvoir. Tout se présentait à moi comme une scènemagique. Le résultat que j'avais obtenu, était de nature plutôt àdiriger mes efforts dès que je les tournerais vers l'objet de mesrecherches, qu'à me l'offrir sur-le-champ. J'étais comme l'Arabe quiavait été enseveli parmi les morts, et qui trouva un passage à lavie, guidé seulement par une lueur qui semblait ne devoir pas luiprêter ce secours.

Mon ami, je vois, à votre impatience, à l'étonnement et à l'espoirqu'expriment vos yeux, que vous vous attendez à ce que je vousinstruise du secret de ma découverte; cela ne se peut: écoutezpatiemment la fin de mon histoire, et vous verrez facilement pourquoi jeme renferme dans le silence. Imprévoyant et ardent comme je l'étaisalors, je ne vous conduirai pas à votre perte et à un malheurinfaillible. Apprenez-de moi, sinon par mes préceptes, du moins par monexemple, combien la science est dangereuse. Soyez-en certain: l'hommequi croit que sa ville natale est le monde, est plus heureux que celuiqui aspire à s'élever plus qu'il ne peut prétendre.

Maître d'un pouvoir si étonnant, j'hésitai long-temps sur l'usage quej'en ferais. J'avais, il est vrai, la faculté d'animer; mais il restaitencore un ouvrage d'une difficulté et d'une peine inconcevables,c'était de préparer un corps destiné à recevoir la vie, avec toutesses combinaisons de fibres, de muscles et de veines. J'hésitai d'abord,si j'essayerais de créer un être semblable à moi-même ou d'uneorganisation plus simple; mais mon imagination était trop exaltée parmon premier succès, pour que je misse en doute mon habileté à donnerla vie à un être aussi compliqué et aussi merveilleux que l'homme.Les matériaux, dont je pouvais disposer, me parurent à peinesuffisants pour une entreprise aussi hardie; mais je ne doutai pas queje ne finisse par réussir. Je me préparai à une multitude de revers;il était possible que mes opérations fussent sans succès, et enfinque mon ouvrage fût imparfait. Cependant, en réfléchissant auxprogrès qu'on faisait tous les jours dans la science et dans lamécanique, je me flattais que mes essais seraient du moins la base d'unprochain succès, et je ne pouvais croire que mon plan fûtimpraticable, par cela même qu'il était grand et compliqué. Ce futdans ces dispositions que je commençai à créer un être humain. Commela petitesse des parties formait une grande difficulté, je crus pouvoiraccélérer mon ouvrage, en prenant la résolution, contraire à mespremières intentions, de le faire d'une stature gigantesque,c'est-à-dire, d'environ huit pieds de hauteur, et d'une grosseurproportionnée. Cette détermination prise, je m'occupai pendantplusieurs mois à rassembler et à arranger avec succès mes matériaux:enfin, je me mis à l'ouvrage.

On ne saurait imaginer la variété des sentiments qui m'agitaient,comme une tempête, dans le premier enthousiasme de mon heureuseentreprise. La vie et la mort me parurent des limites idéales; j'allaisbientôt les franchir; j'allais verser un torrent de lumière surl'obscurité du monde. Une nouvelle génération me bénirait comme soncréateur et sa source: une foule d'êtres heureux et excellents medevraient leur existence. Aucun père ne pourrait réclamer lareconnaissance de son enfant, autant que je mériterais la sienne. Enpoursuivant ces réflexions, je pensai que si je pouvais animer unematière inerte, je pourrais, avec le temps (quoique je le regardassealors comme impossible), rendre la vie à un corps que la mort semblaitavoir destiné à la corruption.

Ces idées soutenaient mon courage, pendant que je poursuivais sansrelâche mon entreprise. Mes joues étaient devenues pâles parl'étude, et mon corps s'amaigrissait par le défaut de nourriture.Quelquefois je pensais être parvenu au but, et j'échouais; mais je nedésespérais pas qu'au premier jour, ou au premier moment, mesespérances ne fussent réalisées. Le désir de posséder seul unpareil secret, me dominait entièrement: la lune éclairait mesopérations nocturnes, pendant que je poursuivais la nature jusque dansses retraites les plus cachées, avec une ardeur sans relâche. Quipourra concevoir l'horreur de mes travaux secrets, lorsque je profanaisles tombeaux, ou que je torturais l'animal vivant, pour animer un froidargile? Mes membres en tremblent encore; tout est encore présent à mesyeux; mais alors j'étais entraîné par une impulsion irrésistible etpresque fanatique; il me semblait n'avoir plus d'âme ou de sensationque pour la poursuite de cet objet. Ce n'était, il est vrai, qu'unenthousiasme passager, qui pouvait seulement contribuer à me fairesentir, avec une nouvelle force, dès que l'aiguillon surnaturelcesserait d'agir, que je retournerais à mes anciennes habitudes. Jeramassais des os dans les charniers; et de mes doigts profanes, jetroublais les secrets effroyables du tombeau. Enfermé dans une chambre,ou plutôt dans une cellule solitaire, de la partie la plus élevée dela maison, et séparée de tous les autres appartements par une galerieet par un escalier, je me livrais au travail d'une création pleine dedégoût: mes yeux sortaient de leur orbite, pour suivre les détails demes occupations. La salle de dissection et la tuerie me fournissaient ungrand nombre de matériaux; souvent je me détournais avec horreur demes travaux, lorsqu'excité encore par une ardeur toujours croissante,j'étais près d'achever mon ouvrage.

L'été se passa, pendant que j'étais engagé de cœur et d'âme dansn'était pas cette seule poursuite. La saison était magnifique: jamaismoisson plus abondante ne couvrit les champs; jamais vendanges ne furentplus riches: mais j'étais insensible aux charmes de la nature; et lesmêmes pensées qui me firent négliger les scènes qui se passaientautour de moi, me firent aussi oublier ces amis qui étaient éloignésde tant de lieues, et que je n'avais pas vus depuis si long-temps. Jesavais que mon silence les inquiétait.

Je me rappelais, mot pour mot, ce que m'avait dit mon père: «Tant quevous serez satisfait de vous-même, vous penserez à nous avecaffection, et nous recevrons régulièrement de vos nouvelles. Ne meblâmez pas si je regarde toute interruption dans votre correspondance,comme une preuve que vos autres devoirs sont également négligés».

Ainsi, je connaissais bien quelle devait être l'opinion de mon père,et pourtant je ne pouvais m'arracher à des occupations repoussantes enelles-mêmes, mais dont le pouvoir sur moi était in surmontable. Jeremis alors tout ce qui avait rapport à mes sentiments d'affection,jusqu'à ce que j'eusse accompli le grand œuvre qui me détournait detoutes les habitudes de ma vie.

Je pensais que mon père serait injuste, s'il attribuait ma négligenceà mes défauts ou à mes vices. Maintenant, je suis convaincu qu'ilavait raison de penser que ma conduite n'était pas exempte de blâme.Un homme parfait doit toujours maintenir son esprit dans le calme etdans la paix; sa tranquillité ne doit jamais être troublée par unepassion ou par un goût passager. Je ne crois pas que l'étude mêmesoit une exception à cette règle. Si l'étude à laquelle ons'applique, doit affaiblir les affections, et ôter le goût de cesplaisirs simples dans lesquels on ne peut éprouver aucune altération,alors cette étude est sans aucun doute illégitime; c'est-à-dire,qu'elle ne convient pas à l'esprit humain. Si cette règle étaittoujours observée, si l'homme ne laissait aucune passion altérer lecharme paisible de ses affections domestiques, la Grèce n'eût pasété réduite en esclavage; César n'eût pas immolé son pays;l'Amérique n'eût pas été découverte; et les empires du Mexique etdu Pérou n'auraient pas été détruits.

Mais que fais-je? Je moralise au moment le plus intéressant de monhistoire, tandis que je lis dans vos regards l'invitation de continuer.

Mon père ne me faisait aucun reproche dans ses lettres, seulement monsilence l'engagea à s'informer de mes occupations, plusparticulièrement qu'il ne l'avait fait jusque-là. L'hiver, leprintemps et l'été s'écoulèrent pendant mes travaux, sans que jefisse attention à l'apparition successive des fleurs ou des feuilles,qui autrefois me faisait toujours éprouver le plus doux plaisir, tantj'étais plongé dans mon entreprise. Les vacances de cette années'écoulèrent avant que mon ouvrage ne fut près d'être achevé. Jevoyais alors, chaque jour, plus clairement combien j'avais réussi; maismon enthousiasme était réprimé par mon inquiétude; et j'avaisplutôt l'air d'un homme condamné à travailler aux mines, ou à toutautre objet malsain, que d'un artiste au milieu de ses occupationsfavorites. Toutes les nuits j'étais tourmenté d'une fièvre lente: jereconnus enfin que mon système nerveux était fortement attaqué. J'enéprouvai un grand chagrin, parce que j'avais jusqu'alors joui de lameilleure santé, et que je m'étais toujours vanté de la force de mesnerfs. Mais je croyais que l'exercice et l'amusem*nt dissiperaientbientôt de pareils symptômes, et je me promettais de m'y livrer, dèsque ma création serait terminée.

CHAPITRE IV

Ce fut en novembre, pendant une nuit affreuse, que je visl'accomplissem*nt de mes travaux. Dans une inquiétude voisine del'agonie, je rassemblai autour de moi les instruments propres à donnerla vie, pour introduire une étincelle d'existence dans cette matièreinanimée qui était à mes pieds. L'airain avait déjà sonné lapremière heure après minuit; la pluie battait, avec un sifflementhorrible, contre mes fenêtres; ma lumière était près de s'éteindre,lorsqu'à cette lueur vacillante, je vis s'ouvrir l'œil jaune etstupide de la créature: elle respira avec force, et ses membres furentagités d'un mouvement convulsif.

Comment décrire ce que j'éprouvai à cette vue, ou comment peindre lemalheureux dont la formation m'avait coûté tant d'efforts, de peines,et de soins? Ses membres étaient d'une juste proportion, et les traitsque je lui avais donnés n'étaient pas moins beaux. Beaux!... grandDieu! sa peau jaune couvrait à peine le système des muscles et desartères: sa chevelure flottante était d'un noir brillant; ses dentsétaient blanches comme des perles; mais ces avantages ne formaientqu'un contraste plus horrible avec des yeux insipides, qui paraissaientpresque de la même couleur que leurs blanches et sombres orbites; unepeau ridée, et des lèvres noires et serrées l'une contre l'autre. Lesdifférents événements de la vie ne sont pas aussi variables que lessensations du cœur humain. Je n'avais pas cessé de travailler pendantprès de deux ans, dans le seul but de donner l'être à un corpsinanimé. Dans cette vue, j'avais négligé mon repos et ma santé:j'avais désiré atteindre ce but avec une ardeur immodérée; et,maintenant que j'y étais parvenu, la beauté du rêve s'évanouit; moncœur se remplit d'une horreur et d'un dégoût affreux. N'ayant pas laforce de soutenir la vue de l'être que j'avais créé, je sortis de monlaboratoire, et me promenai long-temps en parcourant ma chambre, en toussens, et sans songer au sommeil. Enfin, la fatigue succéda à monagitation, et je me jetai sur mon lit pour chercher, pendant quelquesmoments, l'oubli de ma situation. Ce fut en vain: je dormis pourtant;mais je fus troublé par les rêves les plus effrayants. Je crus voirÉlisabeth, brillante de santé, se promener dans les rues d'Ingolstadt.Charmé et surpris, je l'embrassai; en imprimant mon premier baiser surses lèvres, je les vis devenir livides comme la mort; je vis ses traitschanger, et je crus tenir entre mes bras le cadavre de ma mère. Elleétait couverte d'un linceul, dans les plis duquel je voyais ramper lesvers du tombeau. Je m'éveillai saisi d'horreur; une sueur froidecouvrait mon front; mes dents claquaient les unes contre les autres; ettous mes membres étaient en convulsion, lorsqu'à la clarté faible etjaunâtre de la lune qui donnait sur les croisées, je distinguai lemalheureux..., le misérable monstre que j'avais créé. Il tenait lesrideaux du lit; et ses yeux, si je puis les appeler ainsi, étaientfixés sur moi. Sa bouche s'ouvrit, et il fit entendre quelques sonsinarticulés, en faisant des grimaces affreuses. Peut-être avait-ilparlé; mais je n'entendis pas; il étendit une main, sans doute pour meretenir, mais j'échappai, et descendis précipitamment les escaliers.Je me réfugiai dans la cour de la maison, où je passai le reste de lanuit à me promener en long et en large dans la plus grande agitation,prêtant attentivement et avec crainte l'oreille au moindre bruit, commes'il m'annonçait l'approche du démon à qui j'avais si malheureusem*ntdonné la vie.

Ah! quel mortel pourrait soutenir l'horreur de cette situation! Unemomie à qui on rendrait l'âme, ne serait pas aussi hideuse que cemonstre. Je l'avais observé lorsqu'il n'était pas encore achevé: ilétait laid alors; mais, lorsque les muscles et les articulations purentse mouvoir, il devint si horrible, que le Dante lui-même n'aurait pul'imaginer.

Je passai la nuit dans des transes cruelles. Tantôt mon pouls battaitsi vite et avec tant de violence, que je sentais la palpitation de tousles artères; tantôt je succombais presque de langueur et de faiblesse.Saisi d'horreur, je compris avec amertume combien je m'étais abusé:les rêves, dont je m'étais bercé si long-temps et avec tant deplaisir, étaient maintenant devenus un tourment pour moi. Commentn'aurais-je pas éprouvé ce tourment? Mon changement fut si rapide; mesespérances furent si cruellement déçues en tous points!

Le jour commença enfin à paraître; le temps était sombre etpluvieux. Cependant, mes yeux découvrirent l'église d'Ingolstadt, sesblancs clochers, et l'horloge qui marquait six heures. Le gardien ouvritles portes de la cour qui avait été mon asile pendant la nuit: jesortis dans les rues; je me mis à les parcourir avec précipitationcomme si je cherchais à éviter le misérable, et en tremblant de lerencontrer à chaque détour de rue. Je n'osais retourner àl'appartement que j'habitais; et je me sentais entraîné avec unevitesse prodigieuse, quoique trempé par la pluie qui tombait à versed'un ciel noir et couvert.

Je continuai pendant quelque temps à marcher ainsi, essayant, parl'exercice du corps, de me soulager du poids qui accablait mon esprit.Je traversais les rues sans savoir où j'étais, ni ce que je faisais.Mon cœur palpitait de frayeur, et et je marchais à pas irréguliers,sans oser regarder autour de moi:

Semblable à celui qui, en se promenant sur une route solitaire, estsaisi de crainte et d'horreur, et qui, après s'être une seule foisretourné, presse le pas et n'ose plus détourner la tête; il craintqu'un ennemi effrayant ne marche derrière lui[2].

En continuant ainsi, j'arrivai enfin devant une auberge où descendaientordinairement les voitures et les diligences. Je m'y arrêtaimachinalement, et je restai pendant quelques minutes les yeux fixés surune voiture qui arrivait par l'autre bout de la rue, et qui, ens'approchant, me parut être la diligence Suisse: elle s'arrêta àl'endroit même où j'étais; et, dès que la portière fut ouverte, jevis Henri Clerval, qui, en m'apercevant, s'élança dans mes bras. «Moncher Frankenstein, s'écria-t-il, que je suis content de te voir! que jesuis heureux de te rencontrer ici au moment même de mon arrivée»!

Rien ne put égaler le plaisir que j'éprouvai à la vue de Clerval; saprésence reportait toutes mes pensées vers mon père, Élisabeth, ettoutes ces scènes domestiques dont le souvenir m'était si doux. Jetenais sa main; et, dans un moment, j'oubliai mes tourments et monmalheur; j'éprouvai tout à coup, et pour la première fois depuisplusieurs mois, une joie calme et sereine. J'accueillis mon ami de lamanière la plus cordiale; et nous nous dirigeâmes vers mon collège.Clerval me parla pendant quelque temps de nos amis communs, et me ditcombien il se félicitait d'avoir obtenu de venir à Ingolstadt. «Tupeux facilement, me dit-il, t'imaginer les efforts que j'ai dûemployer, pour persuader à mon père qu'il n'était pas nécessaire àun négociant de ne connaître absolument que la tenue des livres;vraiment je ne me flatte pas d'avoir ébranlé son incrédulité; car saréponse, constante à mes sollicitations, était toujours celle dumaître d'école Hollandais dans le ministre de Wakefield: (j'ai 10,000florins de rentes sans savoir le Grec, et cela ne m'empêche pas d'enjouir de bon cœur). Mais son affection pour moi a triomphé enfin deson mépris pour l'instruction; et il m'a permis d'entreprendre unvoyage de découverte dans le pays de la science».

—«J'ai le plus grand plaisir à te voir, mais je n'en aurais pas moinsà apprendre de toi comment se portent mon père, mes frères etÉlisabeth».

—«À mon départ, ils étaient en bonne santé, et très-heureux, maisun peu fâchés de ne recevoir que si rarement de tes nouvelles. Cela mefait penser que j'ai à t'adresser des reproches de leur part. Mais, moncher Frankenstein, continua-t-il, en s'arrêtant court, et en meregardant en face, je n'avais pas encore remarqué ta mauvaise mine, simaigre et si pâle; tu as l'air d'avoir veillé pendant plusieursnuits.»

—«Tu as deviné juste; j'ai été dernièrement si plongé dans untravail, que je ne me suis pas donné assez de repos, comme tu vois.Mais j'espère bien sincèrement que je suis maintenant au terme detoutes ces occupations, et que j'en suis enfin délivré».

Je tremblais excessivement; je ne pouvais songer aux événements de lanuit précédente, ni à tout ce qui y faisait allusion. Je marchaisd'un pas rapide, et nous arrivâmes bientôt à mon collège. Jeréfléchis alors, et je frissonnai à l'idée que la créature quej'avais laissée dans mon appartement, pourrait y être encore, vivre etse promener. Je tremblais de voir ce monstre; mais je craignais encoreplus qu'Henri ne le vit. Je le priai donc de rester quelques minutes aubas de l'escalier, et je montai dans ma chambre. J'allais ouvrir laporte, et je ne m'étais pas encore recueilli. Je m'arrêtai alors, enfrissonnant. Je poussai la porte avec force, à la manière des enfantsqui s'imaginent trouver un spectre qui les attend dans l'autreextrémité: mais rien ne parut. Je marchais avec crainte: l'appartementétait vide, et ma chambre était aussi délivrée de son hôte hideux.J'avais peine à croire à mon bonheur; certain enfin de l'absence demon ennemi, je frappai mes mains de joie, et je courus vers Clerval.

Nous montâmes dans ma chambre, où le domestique nous apporta aussitôtà déjeuner; mais je ne pouvais me contenir. Je n'étais pas seulementtroublé par la joie; je me sentais agité aussi par un excès desensibilité, et par les battements rapides de mon pouls. Je ne pouvaisrester un seul instant à la même place; je sautais sur les chaises, jefrappais des mains, et je riais aux éclats. Clerval attribua d'abordl'état extraordinaire dans lequel il me voyait au plaisir que mecausait son arrivée; mais en m'observant avec plus d'attention, il vitdans mes yeux un égarement dont il ne put se rendre compte; et il futaussi effrayé qu'étonné de mes éclats de rire immodérés, dontaucun ne venait du cœur.

—«Mon cher Victor, s'écria-t-il, pour l'amour de Dieu, dis-moi ce quetu as? Ne ris pas de cette manière. Comme tu es mal! Quelle est lacause de tout ce que je vois?

—»Ne me le demande pas, lui dis-je, en me mettant les mains sur lesyeux, car je crus voir le monstre horrible se glisser dans la chambre;il peut dire.—ah! sauve moi! sauve moi»! Je m'imaginais que le monstreme saisissait; je me débattais avec fureur, et je cédai à un violentaccès.

Pauvre Clerval, qu'a-t-il dû éprouver? En quelle amertume se changeaitla joie qu'il s'était promise à nous revoir! Mais je n'étais pas letémoin de sa douleur; car j'étais sans vie, et je ne recouvrai lessens que long-temps, long-temps après.

Tel fut le commencement d'une fièvre nerveuse, qui me retint plusieursmois. Pendant tout ce temps, Henri seul me soigna. J'appris par la suitequ'il avait caché à Élisabeth et à mon père l'excès de monégarement, pour épargner des chagrins à l'un, qui, dans un âgeavancé, ne pourrait entreprendre un aussi long voyage, et à l'autre,qui ne pourrait supporter l'idée de ma maladie. Il savait que je nepourrais avoir de soins meilleurs et plus assidus que les siens, etferme dans l'espérance que je recouvrerais la santé, il ne douta pasque loin de mal agir, il ne fit une très-bonne action vis-à-vis de mesparents.

J'étais réellement très-malade, et rien n'était plus propre à merendre à la vie que les attentions excessives et continuelles de monami. Le monstre, à qui j'avais donné l'existence, était toujoursdevant mes yeux; il était sans cesse l'objet de mes discours dans mondélire. Sans doute Henry fut surpris de mes paroles: il les pritd'abord pour les égarements de mon imagination troublée; mais laténacité qui me portait à revenir continuellement sur le même sujet,lui donna lieu de penser que ma maladie avait réellement pour causequelqu'événement extraordinaire et terrible.

Je me rétablis lentement, et après des rechutes fréquentes, quialarmèrent et affligèrent mon ami. Je me souviens que la premièrefois que je devins capable d'observer avec une sorte de plaisir lesobjets extérieurs, je vis que les feuilles tombées avaient disparu, etque de jeunes bourgeons poussaient aux arbres qui ombrageaient mafenêtre. C'était un printemps délicieux, et la saison eut une grandeinfluence dans ma convalescence. Je sentis aussi renaître dans moncœur des sentiments de joie et d'affection. Mon chagrin s'étaitdissipé, et bientôt je devins aussi gai qu'avant que je fusse en proieà ma funeste passion.

«Cher Clerval, m'écriai-je, que tu es aimable, que tu es bon pour moi!Au lieu d'employer tout cet hiver à l'étude, ainsi que tu te l'étaispromis, tu l'as passé dans la chambre d'un malade. Comment pourrais-jejamais reconnaître ce service? J'éprouve le plus grand remords det'avoir détourné de tes projets; mais tu pardonneras à ton ami.

—»J'en serai suffisamment dédommagé si tu ne te troubles pas; si tute rétablis aussi promptement qu'il est possible. À présent que tonesprit me paraît tranquille, je te puis parler sur un sujet;... ne lepuis-je»?

Je tremblai. Quel pouvait être ce sujet? ferait-il allusion à un objetauquel je n'osais même penser?

«Calme-toi, dit Clerval, qui me vit changer de couleur, je ne t'enparlerai pas si cela t'agite; mais ton père et ta cousine seraient bienheureux de recevoir une lettre écrite de ta main. Ils ne savent pascombien tu as été malade, et sont inquiets de ton long silence.

«N'est-ce que cela, mon cher Henry? Comment as-tu pu supposer que mapremière pensée ne se porterait pas vers ces amis si chers, quej'aime, et qui méritent tant que je les aime»?

«Si telles sont maintenant tes dispositions, tu seras peut-être bienaise, mon ami, de voir une lettre qui est arrivée ici pour toi depuisplusieurs jours: elle est, je crois, de ta cousine».

[2]Coleridge's «Ancient Mariner».

CHAPITRE V

Clerval me remit la lettre suivante:

À V. FRANKENSTEIN.

«Mon cher Cousin,

»Je ne puis vous peindre l'inquiétude que nous avons tous éprouvéeau sujet de voire santé. Nous ne pouvons nous empêcher de croire quevotre ami Clerval nous cache la gravité de votre maladie: car voiciplusieurs mois que nous n'avons vu de votre écriture, puisque vous avezété obligé, pendant tout ce temps-là, de dicter vos lettres àHenry. Il faut, Victor, que vous ayez été bien malade. Nous en sommespresqu'aussi malheureux, que nous l'étions après la mort de votreexcellente mère. Mon oncle s'était persuadé que vous étieztrès-dangereusem*nt malade: nous l'avons empêché, mais non sanspeine, d'entreprendre le voyage d'Ingolstadt. Clerval écrit toujoursque vous allez mieux; j'espère vivement que vous nous confirmerezbientôt cette nouvelle par une lettre écrite de votre propre main;car, vraiment, Victor, nous sommes tous très-affligés de votre état.Qu'un mot de vous nous ôte toute crainte, et nous serons les êtres dumonde les plus heureux. Votre père jouit maintenant d'une si bonnesanté, que, depuis l'hiver dernier, il parait avoir dix ans de moins.Ernest a tellement grandi, que vous auriez de la peine à lereconnaître; il a maintenant près de seize ans, et ne paraît plusmaladif, comme nous l'avons vu il y a quelques années: c'est un garçontout-à-fait fort et animé.

»Hier au soir, j'ai eu une longue conversation avec mon oncle sur leparti qu'embrasserait Ernest. Dans un état continuel de maladie,pendant son enfance, il n'a pu prendre l'habitude du travail; et àprésent qu'il jouit d'une bonne santé, il est sans cesse à courir augrand air, à gravir les montagnes, on à voguer sur le lac. J'aiproposé d'en faire un cultivateur; vous savez, mon cousin, qu'aucunétat ne me paraît préférable. Un cultivateur mène la vie du mondela plus paisible et la plus heureuse, et se livre en même temps à untravail, dont les chances sont peu à craindre et les bénéficespresque certains. Mon oncle aurait voulu qu'il fit les étudesnécessaires pour être avocat, afin que par la suite il pût devenirjuge. Mais, outre qu'il n'est nullement propre à une semblableprofession, il est certainement plus honorable à lui de cultiver laterre pour la subsistance de l'homme, que d'être le confident, ouquelquefois le complice de ses crimes; car un homme de loi ne fait pasautre chose. Je disais que si les occupations d'un bon cultivateurn'étaient pas plus honorables, elles étaient du moins d'un genre plusagréable que celles d'un juge, qui avait le malheur de n'être jamaistémoin que des crimes de l'homme. Mon oncle sourit en me disant que jedevrais être avocat moi-même: cela mit fin à notre conversation.

»Je veux maintenant vous raconter une petite histoire qui vous plairaet vous intéressera peut-être. Vous souvenez-vous de JustineMoritz?—Non, sans doute.—Eh bien! je vous raconterai son histoire enpeu de mots. Madame Moritz, sa mère, était veuve avec quatre enfants,dont Justine était le troisième. Cette jeune fille avait toujoursété l'objet des prédilections du père; mais, par une étrangeperversité, la mère ne pouvait la souffrir, et, après la mort de M.Moritz, elle la traita fort mal. Ma tante le remarqua, et pria la mèrede Justine, qui était alors âgée de douze ans, de la laisser avecnous. Les institutions républicaines de notre pays ont donné lieu àdes habitudes plus simples et plus heureuses, que celles qui dominentdans les grandes monarchies qui l'entourent. Il en résulte moins dedistinction entre les différentes classes des habitants; il en résulteaussi que les dernières, qui sont moins pauvres et moins méprisées,conservent des habitudes plus pures et plus honnêtes. Un domestique àGenève ne sent pas de même que ceux de France et d'Angleterre.Justine, ainsi reçue dans notre famille, apprit les devoirs d'uneservante: condition qui, dans notre heureux pays, ne renferme pasl'idée d'ignorance, et n'entraîne pas le sacrifice de la dignité d'unêtre humain.

»À présent, j'ose dire que vous vous rappelez à merveillel'héroïne de ma petite histoire: car vous aimiez beaucoup Justine. Jeme souviens même que vous remarquiez autrefois, qu'un regard de Justinesuffisait pour calmer votre mauvaise humeur, ainsi que l'Arioste parlede la beauté d'Angélique, tant elle avait un air candide et heureux.Ma tante connut beaucoup d'attachement pour elle, ce qui l'engagea àlui donner une éducation supérieure à celle qu'elle avait d'abordespérée. Ce bienfait fut bien placé; Justine était la petitecréature du monde la plus reconnaissante: je ne veux pas dire qu'elleen fît profession; je ne l'ai jamais entendu l'exprimer par desparoles; mais ses yeux eussent fait croire qu'elle adorait presque saprotectrice. Quoique son caractère fût fort gai et souvent léger,elle faisait pourtant la plus grande attention au moindre geste de matante. Elle la regardait comme le modèle le plus parfait, et elletachait d'imiter sa façon de parler et ses manières, au point que,même à présent, elle me la rappelle souvent.

»À la mort de ma chère tante, chacun était trop occupé de sa propredouleur pour faire attention à la pauvre Justine, qui l'avait soignéependant sa maladie avec la plus vive affection. La pauvre Justine futtrès-malade; mais elle était réservée à d'autres épreuves.

»Ses frères et sa sœur moururent l'un après l'autre, et sa mèreresta sans autre enfant que la fille qu'elle négligeait. Cette femme,troublée par le cri de sa conscience, commença à croire que la mortde ses enfants préférés était un jugement du ciel, qui la punissaitde sa partialité. Elle était Catholique Romaine, et je crois qu'ellefut confirmée dans l'opinion où elle était, par son confesseur.Aussi, peu de mois après votre départ pour Ingolstadt, Justine futrappelée par sa mère repentante. Pauvre fille! elle pleura en quittantnotre maison: elle était bien changée depuis la mort de ma tante; lechagrin avait mêlé à son humeur, autrefois si vive, une douceur etune langueur attrayantes. Son séjour dans la maison maternelle n'étaitpas de nature à lui rendre la gaîté. La pauvre femme étaittrès-chancelante dans son repentir. Quelquefois elle priait Justine delui pardonner sa dureté; mais bien plus souvent elle l'accusait d'avoircausé la mort de ses frères et de sa sœur. Madame Moritz, dont lecaractère irascible ne fut d'abord qu'irrité par un état d'aigreurcontinuelle, repose maintenant en paix. Elle mourut aux premièresapproches du froid, au commencement de l'hiver dernier. Justine estrevenue avec nous, et je vous assure que je l'aime tendrement. Elle esttrès-adroite, très-douce, et extrêmement jolie. Comme je vous l'aidéjà dit, ses manières et ses expressions me rappellentcontinuellement ma chère tante.

»Il faut aussi, mon cher cousin, que je vous parle un peu du gentilpetit Guillaume: il est très-grand pour son âge; je voudrais que vousle vissiez, avec ses yeux bleus, doux et vifs, ses cils noirs et sescheveux bouclés. Lorsqu'il sourit, on voit sur ses joues deux petitesfossettes qui sont fraîches comme la rose. Il a déjà eu une ou deuxpetites femmes; mais Louisa Biron est sa favorite: c'est une joliepetite fille de cinq ans.

»Je pense, mon cher Victor, que vous serez bien aise que je vous parleun peu des bons habitants de Genève. La jolie mademoiselle Mansfield adéjà reçu les visites de félicitation sur son prochain mariage avecun jeune Anglais, nommé John Melbourne, écuyer. Sa vilaine sœur,Manon, a épousé, l'automne dernier, le riche banquier M. Duvillard.Votre bon camarade d'études, Louis Manoir, a été plusieurs foismalade depuis que Clerval est parti de Genève; il a déjà recouvré lasanté, et il est sur le point d'épouser une très-aimable ettrès-jolie française, madame Tavernier. Elle est veuve et plus âgéeque lui; mais on la trouve très-belle, et elle est aimée de tout lemonde.

»Moi qui vous écris, je suis en bonne santé, mon cher cousin; mais jene puis terminer ma lettre sans vous demander encore avec inquiétudedes nouvelles de la vôtre. Mon cher Victor, si vous n'êtes pas tropmalade, écrivez vous-même, et rendez heureux votre père et nous tous;ou.... Je n'ai pas la force de penser au malheur; mes pleurs coulentdéjà. Adieu, mon très-cher cousin.

»ÉLISABETH LAVENZA».

Genève, 18 mars 17—

«Chère Élisabeth! m'écriai-je, après avoir lu sa lettre, j'écriraisur-le-champ, et je mettrai fin à l'inquiétude qui doit latourmenter». J'écrivis, et je fus très-fatigué d'avoir écrit; maisma convalescence venait de commencer, elle continua régulièrement.Quinze jours après, je pus quitter la chambre.

Un de mes premiers devoirs fut de présenter Clerval à plusieursprofesseurs de l'université. En agissant ainsi, je suivis une sorted'usage qui m'était pénible, et qui convenait mal aux souffrances dontmon cœur avait été déchiré. Depuis la nuit fatale qui avait ététémoin de la fin de mes travaux, et du commencement de mes malheurs,j'avais conçu une violente antipathie contre le nom même de laphilosophie naturelle. Bien plus: dans un état complet de santé, lavue d'un instrument d'alchimie était capable de renouveler toutes mesagitations nerveuses. Henry s'en était aperçu, et avait faitdisparaître tous mes appareils. Il avait aussi voulu que je quittassemon appartement; car il avait remarqué que j'évitais d'aller dans lachambre qui m'avait auparavant servi de laboratoire. Mais tous les soinsde Clerval furent perdus au moment où j'allai rendre visite auxprofesseurs. M. Waldman me mit à la torture, en louant avec bonté etchaleur mes progrès étonnants dans les sciences. Il ne tarda pas àvoir que cette conversation me gênait; mais, n'en devinant pas lavéritable cause, il l'attribua à la modestie, et cessa de vanter mesprogrès, pour parler de la science elle-même, avec le désir bienévident que je me misse à en parler. Que pouvais-je faire? il voulaitme plaire, et il me tourmentait. Je souffrais comme s'il avait placé,un à un devant moi, ces instrument qui devaient servir dans la suite àme conduire à une mort lente et cruelle. Je souffrais de ce qu'ildisait, sans oser montrer la peine que j'éprouvais. Clerval, qui étaittoujours si prompt à discerner les sensations des autres, détourna laconversation, en alléguant pour excuse son ignorance complète, etdonna à la conversation un tour plus général. Je remerciai mon ami dufond de mon cœur, mais je ne parlai pas. Je vis clairement qu'il étaitsurpris, mais il n'essaya jamais de m'arracher mon secret; et, quoiqueje l'aimasse avec un mélange d'affection et de respect qui neconnaissaient pas de bornes, je ne pouvais cependant me décider à luiconfier l'événement qui était si souvent présent à ma mémoire,mais dont je craignais d'imprimer trop profondément le souvenir à unautre.

M. Krempe ne fut pas aussi docile; et, dans mon état de sensibilitéexcessive, ses éloges brusques et grossiers me firent même plus de malque la bienveillante approbation de M. Waldman. «Savant collègue!s'écria-t-il; je vous assure, M. Clerval, qu'il nous a tous surpassés.Oui; regardez-moi si cela vous plaît, mais ce que je dis n'en est pasmoins vrai. Un jeune homme qui, il y a quelques années, croyait enCornélius Agrippa, aussi fermement qu'en l'Évangile, s'est maintenantmis à la tête de l'université; et s'il n'est bientôt à bas, nous nepourrons tenir à côté de lui.—Allons, allons, continua-t-il, envoyant mon air de souffrance, M. Frankenstein est modeste; c'est uneexcellente qualité pour un jeune homme. Les jeunes gens doivent sedéfier d'eux-mêmes, vous savez, M. Clerval; j'étais comme lui dans majeunesse; mais cela passe bien vite».

M. Krempe commença alors un éloge de lui-même, qui détourna laconversation d'un sujet qui me causait tant de mal.

Clerval n'aimait nullement la philosophie naturelle. Son imaginationétait trop vive pour s'arrêter aux minuties de cette science. Saprincipale étude était celle des langues; son but, en s'y adonnant,était d'ouvrir un champ à son instruction, lorsqu'il serait de retourà Genève. Le Persan, l'Arabe et l'Hébreu, furent, après une étudeapprofondie du Grec et du Latin, l'objet de son application. Quant àmoi, à qui la paresse avait toujours été odieuse; dans le désir defuir les réflexions, et en haine de mes premières études, j'éprouvaiun grand plaisir à être le condisciple de mon ami, et je ne trouvaipas seulement de l'instruction, mais encore des consolations dans lesouvrages des auteurs Orientaux. Leur mélancolie est brûlante; et leurbonheur vous élève à une hauteur que je n'avais jamais connue dansl'étude des auteurs des autres pays. En lisant leurs écrits, il sembleque la vie s'écoule sous un soleil brûlant et dans un jardin de roses,entre les sourires et les dédains d'une beauté cruelle, et dans un feuqui consume le cœur. Combien diffère la poésie forte et héroïquedes Grecs et des Romains!

L'été se passa ainsi, et mon retour à Genève fut fixé pour la finde l'automne; mais, retardé pour plusieurs motifs, je fus surpris parl'hiver et la neige, qui rendirent les chemins impraticables, et jeremis mon voyage au printemps suivant. Je fus très-affligé de ceretard; car j'étais impatient de revoir ma ville natale et mes amis.Mon retour n'avait été différé aussi long-temps, que parce que je nevoulais pas laisser Clerval dans une ville étrangère, avant qu'iln'eût fait connaissance avec quelques-uns des habitants. Cependant,l'hiver se passa très-gaîment; et le printemps, qui fut plus tardifqu'à l'ordinaire, fut aussi plus beau et plus agréable.

Nous étions au mois de mai; et j'attendais de jour en jour la lettrequi devait fixer la date de mon départ, lorsqu'Henry me proposa deparcourir à pied les environs d'Ingolstadt, pour faire mes adieux aupays que j'avais si long-temps habité. Je me rendis avec plaisir àcette proposition; j'aimais l'exercice, et j'avais toujours eu Clerval,de préférence, à tout autre, pour m'accompagner dans ces sortes decourses, auxquelles je m'étais accoutumé dans mon pays natal.

Nous passâmes quinze jours à courir d'un côté et d'un autre. Masanté et mon esprit étaient depuis long-temps rétablis, ets'affermissaient de jour en jour par l'air pur que je respirais, parl'accroissem*nt naturel de mes forces, et la conversation de mon ami.L'étude m'avait éloigné auparavant de mes condisciples et m'avaitrendu insociable; mais Clerval excitait les dispositions qu'une naturemeilleure avait mises dans mon cœur. J'aimai de nouveau les beautés dela nature et l'enjouement des enfants. Excellent ami! avec quellesincérité tu m'aimais! Tu cherchais élever mon esprit à la hauteurdu tien. J'étais miné et affaibli par un travail profond; mais tadouceur et ton affection ont réchauffé et ranimé mes sens. Jeredevins le même qui naguère aimait tout le monde et en étaitégalement aimé, qui n'avait ni soucis ni chagrins. Au temps de monbonheur, la nature inanimée avait le pouvoir de me jeter dans lessensations les plus délicieuses. J'étais en extase à la vue d'un cielsans nuages et de la verdure des champs. Il est vrai que la saison dontje parle était admirable; les fleurs du printemps embellissaient lesjardins, pendant que celles d'été étaient près d'éclore: jen'étais pas troublé par les pensées qui, l'année précédente,m'avaient accablé d'un poids insurmontable, malgré mes efforts pourles éloigner.

Henry se réjouissait de ma gaîté, et partageait sincèrement messensations: il s'occupait de m'amuser, et il me rendait compte en mêmetemps des sentiments de son âme. Dans cette occasion, les ressources deson esprit étaient vraiment étonnantes: sa conversation était pleined'imagination; et très-souvent, à l'imitation des écrivains Persanset Arabes, il inventait des contes dont les idées et les passionsétaient surprenantes. D'autres fois, il récitait mes poèmes favoris,ou proposait des arguments qu'il soutenait avec beaucoup d'esprit.

Nous retournâmes à notre collège un dimanche dans l'après-midi: despaysans dansaient, et toutes les personnes que nous rencontrions,paraissaient gaies et heureuses. J'étais dans l'enchantement: j'étaistransporté par de vifs sentiments de joie et d'allégresse.»

CHAPITRE VI

À mon retour, je trouvai la lettre suivante de mon père:

À V. FRANKENSTEIN.

«Mon cher Victor,

»Tu as sans doute attendu avec impatience une lettre qui fixâtl'époque de ton retour au milieu de nous. J'ai d'abord été tenté dene t'écrire que quelques lignes, uniquement pour te dire le jour oùj'espère pouvoir t'embrasser; mais je n'ose pas te rendre un cruelservice. Quelle sera ta surprise, mon fils, au moment où tu attends unenouvelle heureuse et agréable, de n'en recevoir au contraire que detristes et de douloureuses? Et comment, mon cher Victor, pourrai-je teraconter notre malheur? Pourquoi faut-il que je t'afflige, mon fils, toiqui es loin de nous, mais qui, dans ton absence, n'es pas devenuinsensible à nos joies et à nos chagrins? Je voudrais te préparer aumalheur que je vais t'apprendre, mais je sens que cela m'est impossible,même à présent que tes yeux parcourent la page, pour y chercher lesmots qui doivent t'en donner l'horrible certitude.

»Guillaume n'est plus!... Ce charmant enfant, dont le sourire suffisaitpour réjouir et ranimer mon cœur, qui était si doux et si gai à lafois! Victor a été assassiné!...

»Je n'essayerai pas de te consoler; je me bornerai à te raconter lesdétails de cet évènement.

»Jeudi dernier (7 mars), j'allai, accompagné de ma nièce et de tesdeux frères, me promener à Plinpalais. Le temps était chaud, et siserein que nous prolongeâmes notre promenade plus que de coutume. Lasoirée était déjà fort obscure avant que nous eussions pensé àrentrer; mais en nous disposant au retour, nous ne retrouvâmes plusErnest et Guillaume qui avaient été au-devant de nous. Nous restâmesdonc assis à les attendre. Ernest vint bientôt, et nous demanda sinous avions vu son frère: il nous dit qu'ils étaient à jouerensemble; que Guillaume l'avait quitté pour se cacher, qu'il l'avaitinutilement cherché, et attendu ensuite pendant long-temps, mais qu'iln'était pas venu.

»Ce récit ne servit qu'à nous alarmer. Nous continuâmes à lechercher jusqu'à la nuit tombante, quand Élisabeth conjectura qu'ilpouvait être retourné à la maison. Il n'y était pas. Nous revînmesavec des torches; car je ne pouvais me reposer en songeant que mon filss'était perdu, et restait exposé à toutes les humidités et auxrosées de la nuit: Élisabeth éprouvait aussi une angoisse extrême.Vers cinq heures du matin, je découvris mon aimable enfant que la nuitprécédente j'avais vu brillant et fort de santé, étendu sur legazon, livide, sans mouvement, et portant au col l'empreinte des doigtsdu meurtrier.

»Il fut rapporté à la maison, et la douleur qui était peinte sur monvisage apprit à Élisabeth notre malheur. Elle voulut à toute forcevoir le cadavre. J'essayai d'abord de l'en empêcher; mais ellepersista, entra dans la chambre où il était placé, examinaprécipitamment le col de la victime, et s'écria, on frappant desmains: «Dieu! j'ai assassiné cet enfant que j'aimais»!

»Elle s'évanouit, et ne reprit ses sens qu'avec beaucoup de peine.Revenue de son évanouissem*nt, elle ne cessa de pleurer et de gémir.Elle me dit que le soir même, Guillaume l'avait priée de lui mettre aucol un riche portrait de ta mère, qui lui appartenait. Nul doute que ceportrait, qui a disparu, n'ait tenté le meurtrier, et ne l'ait portéau crime. Nous ignorons quelle trace il aura suivie, malgré l'activitéde nos recherches pour le découvrir; mais hélas! rien ne me rendra monbien-aimé Guillaume.

»Viens, mon cher Victor; tu peux seul consoler Élisabeth. Elle pleuresans cesse, et s'accuse injustement d'être cause de la mort deGuillaume. Nous sommes tous plongés dans la douleur; ne sera-ce pas unmotif de plus pour toi, mon fils, de revenir et de nous apporter desconsolations? Ta chère mère! hélas, Victor! je puis le diremaintenant, remercie Dieu de ce qu'elle ne vit pas, pour être témoinde la mort cruelle et malheureuse de son plus jeune enfant.

»Viens, Victor; sans nourrir des idées de vengeance contre l'assassin,mais avec des sentiments de paix et de douceur, qui calmeront lesblessures de nos cœurs, au lieu de les irriter. Entre dans la maison dudeuil, mon ami, l'âme pénétrée de tendresse et d'affection pour ceuxqui t'aiment, et non de haine contre tes ennemis.

»Ton affectionné et désolé père,

»ALPHONSE FRANKENSTEIN».

Genève 12 mai 17—

Clerval, qui m'avait observé pendant la lecture de cette lettre, futsurpris de voir le désespoir qui succédait à la joie que j'avaisd'abord éprouvée en recevant des nouvelles de mes amis. Je jetai lalettre sur la table, et me couvris la figure de mes mains.

«Mon cher Frankenstein, s'écria Henry, lorsqu'il me vit pleurer avecamertume, seras-tu toujours malheureux? Mon cher ami, qu'est-ilarrivé»?

Je lui fis signe de prendre la lettre, pendant que je parcourais lachambre dans la plus grande agitation; des pleurs coulèrent aussi desyeux de Clerval, lorsqu'il lut le récit de mon malheur.

«Mon ami, dit-il, je ne puis t'offrir aucune consolation; cette perteest irréparable. Que veux-tu faire?

»—Partir sur-le-champ pour Genève: viens avec moi, Henry,commander les chevaux».

Pendant la route, Clerval chercha à relever mon courage. Il n'employaitpas les phrases communes de consolation, mais il partageait franchementma douleur. «Pauvre Guillaume, disait-il; il dort maintenant avec sonangélique mère. Ses amis sont dans le deuil et dans l'affliction; etlui, il est en paix: il ne sent plus les doigts de l'assassin: il neconnaît pas la douleur; la terre couvre ses jolies formes. Il ne peutplus être un objet de pitié; ceux qui survivent sont les plus àplaindre, et ils ne peuvent attendre de consolation que du temps. Ondoit mépriser ces maximes des Stoïciens, que la mort n'est pas un mal,et que l'esprit de l'homme doit être supérieur au désespoir causépar l'absence éternelle d'un objet aimé. Caton même pleurait sur lecadavre de son frère».

Clerval parlait ainsi, pendant que nous traversions les rues avecrapidité. Ses paroles s'imprégnaient dans mon cœur; et je me lesrappelai ensuite quand je fus seul. En ce moment, dès que les chevauxfurent arrivés, je me jetai dans une chaise, en disant adieu à monami.

Mon voyage fut triste. Mon premier désir était d'en voir le terme; caril me tardait d'arriver pour consoler mes amis affligés, et partagerleur douleur; mais, en approchant de ma ville natale, je ralentis mamarche. J'avais peine à résister à la multitude des sentimentstumultueux dont j'étais assiégé. Je traversais des lieux chers à monenfance, et que je n'avais pas vus depuis près de six ans. Que dechangements depuis cette époque! Un tremblement de terre subit avaittout désolé; et mille autres petites circonstances pouvaient avoir,par degrés, amené d'autres altérations, qui, quoique plus lentes,n'étaient pas moins sensibles. Je fus saisi de crainte: je n'osais pasavancer; je me croyais exposé à toutes sortes de malheurs imaginaires,et je tremblais, sans que je puss* les définir.

Je restai deux jours à Lausanne, dans cet état pénible d'esprit. Jecontemplais le lac: les eaux étaient paisibles, tout était calmeautour de moi, et les montagnes couvertes de neige, ces palais de lanature, n'étaient pas changés. Le calme et la beauté du ciel meranimèrent insensiblement, et je continuai mon voyage vers Genève.

La route longeait le lac, qui devenait plus étroit à mesure quej'approchais de ma ville natale. Je découvris plus distinctement lesflancs noirs du Jura, et le sommet brillant du Mont-Blanc; je pleuraiscomme un enfant: «montagnes chères à mon cœur! lac majestueux! dansquel état vous recevez celui qui vous parcourut si souvent? Votresommet est brillant; le ciel et le lac sont azurés et tranquilles.Est-ce un présage de paix, ou bien une insulte à mon malheur»?

Je crains, mon ami, de vous ennuyer, en appuyant sur ces circonstancespréliminaires; mais je me rappelais alors les jours de mon bonheur, etje ne puis y penser encore sans plaisir. Ma patrie, ô ma chère patrie!qui peut mieux qu'un de tes enfants peindre le plaisir que j'éprouvaià la vue de tes sources, de tes montagnes, et surtout de ton lacchéri?

Cependant, plus j'approchais de la maison de mon père, plus j'étaistourmenté par la crainte et le chagrin. La nuit vint à étendre sonvoile sur la nature; et quand je pus distinguer à peine les montagnesdans l'obscurité, je sentis que ma douleur était plus vive. Je mereprésentai une longue et effroyable suite de malheurs, et je prévisque j'étais destiné à devenir le plus infortuné de tous les hommes;hélas! j'ai prédit juste; et si je me suis trompé, c'est qu'enprévoyant et en redoutant tant de malheurs, je n'ai pas conçu lacentième partie de tous ceux dont je devais être accablé.

Il était tout-à-fait nuit quand j'arrivai dans les environs deGenève. Les portes de la ville étant déjà fermées, je fus obligéde passer la nuit à Secheron, village situé à une demi-lieue à l'estde la ville. Dans une disposition d'esprit qui ne me permettait aucunrepos, je voulus profiter de la sérénité du ciel pour voir l'endroitoù mon pauvre Guillaume avait été assassiné. Je ne pouvais traverserla ville. Je me déterminai à passer le lac dans un bateau pour arriverà Plinpalais. Pendant ce court voyage, je vis sur le sommet duMont-blanc les éclairs briller d'un éclat surprenant, et l'orages'approcher avec rapidité; je touchai le rivage, et je montai sur unepetite colline pour en observer les progrès. Il avançait au milieud'un ciel qui se couvrait de nuages. Je sentis bientôt tomber de largesgouttes de pluie. L'orage éclata tout-à-coup avec violence.

Je quittai ma place et poursuivis ma route, malgré l'obscurité etl'orage qui croissaient à chaque minute, et malgré le tonnerre quigrondait au-dessus de ma tête avec une force effrayante, répété parles échos de Salève, du Jura, et des Alpes de la Savoie. J'étaisébloui par les éclairs qui se réfléchissaient dans le lac, et lerendaient semblable à une vaste nappe de feu; je fus même un momentdans une obscurité profonde, qui dura jusqu'à ce que l'éblouissem*ntde mes yeux eût cessé. L'orage, comme il arrive souvent en Suisse,paraissait venir à la fois de plusieurs parties du ciel. C'était aunord de la ville qu'il était le plus violent, au-dessus de cette partiedu lac qui est située entre le promontoire de Belrive et le village deCopêt. Un autre orage montrait le Jura à la lueur se faibles éclairs.Un troisième obscurcissait et découvrait tour-à-tour le môle,montagne escarpée à l'est du lac.

Témoin d'un spectacle si magnifique et si terrible à la fois, jemarchais à pas précipités. Cette guerre majestueuse dans les cieux,élevait mes esprits; je frappai des mains en m'écriant avec force:«Guillaume, ange chéri! voici tes funérailles et tes chantsfunèbres»! En disant ces paroles, j'aperçus dans l'obscurité unfantôme qui sortit d'une touffe d'arbres auprès de moi; je fixai mesyeux sur lui pour le reconnaître: je ne pus m'y méprendre. Un éclairbrilla et le découvrit entièrement à ma vue; sa stature gigantesqueet la difformité de son aspect plus hideux qu'aucune forme humaine, neme permirent pas de douter que ce ne fût le malheureux, l'infâmedémon à qui j'avais donné la vie. Que faisait-il là? serait-ill'assassin de mon frère? (Je frémis à cette pensée). Elle entrasubitement dans mon esprit, et y domina comme si elle était réelle. Jesentais mes dents s'entrechoquer, et je fus forcé de m'appuyer contreun arbre. En peu de temps le fantôme fut loin de moi, et disparut dansl'obscurité. Quel être humain aurait pu donner la mort à ce belenfant? Son assassin!... Je venais de le voir, à n'en pas douter. Je nepouvais me tromper: j'avais une preuve irrésistible, c'est que j'yavais pensé. Je voulus poursuivre le démon, mais je ne pouvaisespérer de l'atteindre; car à la lueur d'un nouvel éclair, je le visgravir les rochers presque perpendiculaires du mont Salève, montagnequi borne Plinpalais au sud; il parvint bientôt au sommet, et disparut.

Je restai sans mouvement. Le tonnerre cessa; mais la pluie continuaencore, et l'horizon fut enveloppé d'une obscurité impénétrable. Jerepassai dans mon esprit les évènements que j'avais jusqu'ici cherchéà oublier: la marche entière de mes progrès vers la création,l'apparition auprès de mon lit de l'être que j'avais formé et animé,et enfin son départ. Deux ans s'étaient presqu'écoulés depuis lanuit où il avait reçu la vie; était-ce son premier crime? Hélas!j'avais jeté dans le monde un monstre dépravé, qui se plaisait dansle carnage et la désolation; n'était-il pas l'assassin de mon frère?

On ne peut se figurer tout ce que je souffris pendant le reste de lanuit que je passai en plein air, mouillé et transi de froid. Mais je nesentais pas les injures du temps; mon imagination était occupée descènes de malheur et de désespoir! L'être que j'avais mis sur laterre, et à qui j'avais donné la volonté et le pouvoir de commettredes actions atroces, semblables à celle qui m'affligeait, me parutêtre mon propre vampire, un fantôme échappé du tombeau, et porté àdétruire tout ce qui m'était cher.

Dès que le jour parut, je dirigeai mes pas vers la ville, dont lesportes étaient ouvertes; et je courus à la maison de mon père. Mapremière pensée fut de dire ce que je savais du meurtrier, etd'envoyer sur-le-champ à sa poursuite; mais je m'arrêtai, enréfléchissant à l'histoire que j'avais à raconter. Je devais parlerd'un être que j'avais formé, et à qui j'avais donné la viemoi-même; que j'avais vu à minuit, au milieu des précipices d'unemontagne inaccessible. Je me rappelai aussi la fièvre nerveuse dontj'avais été attaqué au moment même où j'avais animé ma création,et qui donnerait l'air du délire à une histoire d'ailleurs si peuprobable. En effet, un semblable récit m'eût paru le rêve d'uninsensé. Du reste, la nature singulière de l'être échapperait àtoute poursuite, quand bien même ma famille céderait âmes instances,et se résoudrait à l'entreprendre. D'ailleurs, de quel avantage seraitune poursuite? Qui pourrait arrêter un être capable d'escalader lesflancs perpendiculaires du mont Salève? Ces réflexions fixèrent mesidées, et me portèrent à garder le silence.

Il était environ cinq heures du matin, quand j'entrai dans la maison demon père. Je dis aux domestiques de ne pas réveiller la famille, etj'allai dans la bibliothèque, où j'attendis l'heure à laquelle ilsavaient coutume de se lever.

Six ans s'étaient écoulés comme un songe, mais comme un songe quiavait laissé une trace ineffaçable; et j'étais à la même place oùj'avais embrassé mon père pour la dernière fois, avant de partir pourIngolstadt. Ce père chéri et respectable me restait encore! Je fixailes yeux sur un tableau qui m'offrait la figure de ma mère, et danslequel mon père avait voulu retracer un trait de sa vie: c'étaitCaroline Beaufort dans les transports du désespoir, à genoux auprèsdu cadavre de son père. Ses vêtements étaient grossiers et ses jouespâles; mais il y avait un air de dignité et de beauté, qui laissaità peine accès au sentiment de la pitié. Au bas de ce tableau étaitune miniature de Guillaume, dont la vue m'arracha des pleurs. Ernestentra dans le moment: il m'avait entendu arriver, et s'était hâté devenir me joindre. Il témoigna en me voyant un plaisir mêlé dechagrin:—«Sois le bien venu, mon cher Victor, dit-il; ah! j'auraisvoulu que tu fusses arrivé il y a trois mois; tu nous aurais trouvéstous gais et contents. Mais nous sommes maintenant malheureux; et jecrains que tu n'aies un accueil plus mêlé de deuil que de joie. Notrepère a un air si triste! cet évènement affreux semble avoirrenouvelé dans son cœur le chagrin qu'il éprouva à la mort de maman.La pauvre Élisabeth aussi est tout-à-fait inconsolable». En parlantainsi, Ernest fondait en larmes.

—«Ne m'accueille pas de la sorte, lui dis-je; calme-toi, mon ami; queje ne sois pas tout-à-fait malheureux, au moment où je rentre dans lamaison de mon père après une si longue absence. Mais, dis-moi, commentmon père supporte-t-il ses malheurs? Et la pauvre Élisabeth, commentest-elle»?

—«Elle a bien besoin de consolation; elle s'est accusée d'avoir étéla cause de la mort de mon frère, et elle en a été bien malheureuse!Mais depuis que l'assassin a été découvert...»

—«L'assassin découvert! bon Dieu! comment cela se peut-il? Quipourrait essayer de le poursuivre? c'est impossible; il serait aussifacile d'arrêter les vents, ou de renfermer un torrent dans unepaille».

—«Je ne sais ce que tu veux dire; mais nous avons tous eu une grandepeine lorsqu'elle fut découverte. Personne ne l'aurait cru; et mêmeÉlisabeth en doute encore, malgré l'évidence la plus complète. Eneffet, qui aurait pu penser que Justine Moritz, qui était si aimable etqui avait tant d'attachement pour notre famille, ait pu tout à coupdevenir si méchante»?

—«Justine Moritz! pauvre fille, est-ce elle qui est accusée? maisc'est bien à tort; tout le monde le sait; personne ne le pense; j'ensuis certain, Ernest»?

—«Personne ne le croyait d'abord; mais plusieurs circonstances nousont convaincus depuis presque malgré nous: sa conduite a été silouche, que je crains bien qu'il soit impossible de mettre en doutel'évidence des faits. Au reste elle doit être jugée aujourd'hui: tuconnaîtras tout».

Il me raconta que, le jour où l'on avait découvert le meurtre deGuillaume, Justine était tombée malade et s'était mise au lit; quepeu de jours après, un domestique examinant par hasard la robe qu'elleavait portée la nuit de l'assassinat, avait trouvé dans sa poche leportrait de ma mère, par lequel on présumait que le meurtrier avaitété séduit. Le domestique le montra aussitôt à un autre, qui, sansen dire un mot à qui que ce fût de la famille, alla trouver lemagistrat. C'est sur leur déposition que Justine a été arrêtée.Accusée de ce crime, la pauvre fille confirma le soupçon par unextrême embarras.

Ce concours de circonstances singulières n'ébranla pas ma confiance.Je répliquai avec force: «Vous êtes tous dans l'erreur; je connaisl'assassin. Justine, la pauvre et bonne Justine est innocente».

Dans ce moment mon père entra. Je vis sur sa figure les tracesprofondes du chagrin; mais il essaya de m'accueillir avec gaîté;s'entretint avec moi de nos peines, et il voulait détourner laconversation du triste objet dont nous étions occupés, lorsqu'Ernests'écria: «Bon Dieu, papa! Victor dit qu'il sait quel est l'assassin dupauvre Guillaume».

«—Nous le savons aussi, répondit mon père, et c'est un malheur; car,vraiment, j'aurais mieux aimé ne le jamais connaître, que de voir tantde dépravation et d'ingratitude, dans une personne qui me devaittout».

«—Mon cher père, vous êtes dans l'erreur, Justine est innocente».

«—Si elle l'est, Dieu a voulu qu'elle souffrît autant que si elleétait coupable. Elle doit être jugée aujourd'hui; mais j'aime àcroire qu'elle sera acquittée».

Ces paroles me calmèrent. J'étais intimement persuadé que Justineétait innocente de ce meurtre, aussi bien que tout autre être humain.Je ne craignais donc pas que l'évidence fût assez forte pour qu'ellefut convaincue du meurtre. Dans cette persuasion, je devins plus calme,et j'attendis avec impatience le jugement, mais sans prévoir unrésultat fâcheux.

Nous fûmes bientôt rejoints par Élisabeth. Le temps l'avait bienchangée depuis que je l'avais vue. Six ans auparavant, c'était unejeune fille, jolie et vive, que tout le monde aimait et caressait;c'était maintenant une femme d'une taille et d'une physionomie fortremarquables. Son front grand et ouvert, décelait une merveilleuseintelligence jointe à une rare franchise de caractère. Ses yeux brunsexprimaient une douceur, mêlée à une tristesse qui avait pour motifson affliction récente. Ses cheveux étaient beaux, et noirs commel'ébène; son teint superbe, et sa figure vive et gracieuse. Ellem'accueillit avec la plus grande affection. «Votre arrivée, mon chercousin, me remplit d'espérance, dit-elle. Vous trouverez peut-être lemoyen de mettre au jour l'innocence de ma pauvre Justine. Hélas! quisera en sûreté, si elle est convaincue du crime? Je me repose sur soninnocence avec autant de confiance que sur la mienne. Notre malheur estdoublement affreux: nous n'avons pas seulement perdu notre aimableGuillaume; mais cette pauvre fille, que j'aime sincèrement, va nousêtre enlevée par une destinée encore plus cruelle. Si elle estcondamnée, il n'y aura plus pour moi de bonheur; et, si elle estacquittée, comme je l'espère, je pourrai encore être heureuse, mêmeaprès la mort affreuse de mon petit Guillaume».

—«Elle est innocente, ma chère Élisabeth répondis-je, et soninnocence sera prouvée; ne crains rien, et rassure ton esprit par lacertitude qu'elle sera acquittée».

—«Que vous êtes bon! on croit généralement qu'elle est coupable, etcette opinion cause mon tourment; car je sais qu'elle ne peut pasl'être. Mais, en voyant tout, le monde avoir contr'elle d'aussifâcheuses préventions, je me suis abandonnée au désespoir». Elleversa des larmes.

«Ma chère nièce, dit mon père, essuie tes pleurs. Si Justine estinnocente comme tu le crois, mets confiance dans l'équité de nosjuges, et dans le soin avec lequel je préviendrai toute ombre departialité».

CHAPITRE VII

Le procès devait commencer à onze heures: nous restâmes jusqu'à cemoment dans la tristesse. J'accompagnai à la cour mon père et le restede la famille, qui étaient obligés de paraître comme témoins.Pendant tout le temps de ce misérable simulacre de justice, je souffrisle plus cruel tourment. On allait décider, si le résultat de macuriosité et de mes inventions illégitimes, causerait la mort de deuxde mes semblables: l'un était un enfant charmant rempli d'innocence etde gaîté; l'autre était destiné à une fin bien plus terrible, àl'infamie et à l'horreur qui s'attachent à la mémoire du meurtrier.Justine était aussi une fille de mérite, et possédait des qualitésqui promettaient de rendre sa vie heureuse. Ces dons, cet espoir, toutallait être enseveli dans une tombe ignominieuse, et c'est moi qui enétais la cause! Mille fois plutôt je me serais avoué coupable ducrime attribué à Justine; mais, absent au moment où il fut commis,j'aurais été pris, en faisant une semblable déclaration, pour uninsensé qui s'égare, et je n'aurais pas disculpé celle dont jefaisais le malheur.

Justine avait l'air calme; elle était vêtue de deuil; et sa figure,toujours prévenante, paraissait d'une rare beauté, à laquelleajoutait la solennité des sensations qui l'occupaient. Cependant, ellesemblait se confier en son innocence, et ne pas trembler, quoiqu'ellefût observée et maudite par plus de mille personnes; car l'impressionqu'avait pu produire sa beauté, s'effaçait de l'esprit desspectateurs, lorsqu'on pensait à l'énormité du crime dont elle étaitaccusée. Elle était tranquille; mais sa tranquillité avait quelquechose de forcé; elle était instruite que son trouble avait été prispour une preuve de son crime, et elle appliquait son esprit à paraîtreferme. En entrant dans la salle, elle la parcourut des yeux, etdécouvrit bientôt la place que nous occupions. Une larme semblamouiller sa paupière lorsqu'elle nous aperçut; mais elle se remitpromptement: et un regard mêlé de tristesse et d'amitié, parutattester son entière innocence.

Le jugement commença; un avocat établit les charges, et plusieurstémoins furent appelés. On réunit contre elle plusieurs faitsétrangers, qui furent attestés par des personnes qui n'avaient pas,comme moi, des preuves de son innocence. Elle était restée dehorspendant toute la nuit où le meurtre avait été commis; et, vers lematin, elle avait été vue par une femme du marché, près de l'endroitoù l'on avait trouvé ensuite le corps de l'enfant. Cette femme luiavait demandé ce qu'elle faisait là; mais elle avait les yeuxégarés, et ne fit qu'une réponse obscure et inintelligible. Elleétait revenue à la maison vers huit heures; et, pressée de répondreoù elle avait passé la nuit, elle déclara qu'elle avait cherchél'enfant, en s'informant avec empressem*nt si l'on avait découvertquelque chose. En présence du corps, elle éprouva de violentesattaques de nerfs, et garda le lit pendant plusieurs jours. On produisitalors le portrait que le domestique avait trouvé dans sa poche; et,lorsqu'Élisabeth, d'une voix tremblante, attesta que c'était le mêmequ'elle, avait placé autour du col de l'enfant, une heure avant qu'ilne partit pour la promenade, un murmure d'horreur et d'indignation sefit entendre dans la salle.

On invita Justine à se défendre. Son visage s'était altéré àmesure que le jugement s'avançait: il exprimait fortement la surprise,l'horreur et la douleur. De temps en temps elle fondait en larmes; mais,invitée à se défendre, elle rassembla ses forces, et s'énonça d'unevoix haute, quoique tremblante:

«Dieu connaît, dit-elle, toute mon innocence. Mais je ne prétends pasdevoir mon acquittement à mes protestations. Je prouverai mon innocencepar une exposition claire et simple des faits, qui ont été dirigéscontre moi; et j'espère que le caractère que j'ai toujours montré,disposera mes juges à interpréter favorablement tout ce qui peutsembler douteux, et donner lieu à des soupçons contre moi».

Elle se mit à raconter, qu'avec la permission d'Élisabeth, elle avaitpassé la soirée de la nuit, où le crime avait été commis, chez unede ses tantes qui demeurait, à Chênes, village situé à environ unelieue de Genève. À son retour, vers les neuf heures, elle rencontra unhomme qui lui demanda, si elle avait vu quelque trace de l'enfant quiétait perdu. Alarmée par ces paroles, elle passa plusieurs heures àle chercher, laissa pendant ce temps fermer les portes de la ville, etse vit contrainte de passer une partie de la nuit, dans une grangedépendante d'une chaumière, parce qu'elle ne voulait pas réveillerles habitants, dont elle était bien connue. Ne pouvant goûter de reposni de sommeil, elle quitta de bonne heure son asile, pour lâcher encorede trouver mon frère. Si elle était allée vers l'endroit où étaitle corps, c'était à son insu. Il n'était pas surprenant qu'elle eûtété toute troublée, en répondant aux questions qui lui étaientfaites par la marchande, puisqu'elle avait passé une nuit sans dormir,et qu'elle ignorait encore le sort du pauvre Guillaume. Quant auportrait, elle ne pouvait donner aucune explication.

«Je sais, continua la malheureuse victime, combien cette seulecirconstance me charge, mais je ne puis y jeter aucune lumière. J'aidéclaré ne rien savoir; je n'ai plus qu'à faire des conjectures surle fait, qu'il a été placé dans ma poche. Ici, j'éprouve un nouvelembarras. Je ne crois pas avoir d'ennemi sur la terre, et je suisconvaincue que nul ne serait assez méchant pour me perdre en badinant.Le meurtrier l'y aurait-il placé lui-même? je n'en vois pas le motif:et même, en supposant ce fait, pourquoi aurait-il volé le bijou pours'en défaire si promptement?

»Je confie ma cause à la justice de mes juges, sans conserver la plusfaible espérance. Je demande la permission de produire quelquestémoins pour qu'ils soient interrogés sur mon caractère; et, si leurtémoignage n'atténue pas l'accusation du crime qui m'est attribué, jedois être condamnée, malgré mon innocence sur laquelle je compte pourêtre acquittée».

On entendit plusieurs témoins qui la connaissaient depuis quelquesannées, et qui en parlèrent avec éloge; mais la peur et l'horreur ducrime dont elle était accusée, enchaînaient leur langue. Élisabethvit que cette dernière ressource, que l'excellent caractère et laconduite irréprochable de Justine ne pouvaient la sauver; et, malgréune agitation violente, elle demanda à la cour la permission de prendrela parole.

«Je suis, dit-elle, la cousine du malheureux enfant qui a étéassassiné: je puis même dire que je suis sa sœur, puisque j'ai étéélevée par ses parents, et que j'ai toujours vécu avec eux depuis etlong-temps même avant sa naissance.

»Avec ces titres, il peut paraître inconvenant que je m'explique danscette occasion; mais, au moment de voir une malheureuse créaturelivrée à la mort par la lâcheté de ses prétendus amis, je désirequ'on me permette de rendre témoignage à son caractère. Je connaisbien l'accusée. J'ai vécu avec elle dans la même maison, d'abordpendant cinq ans, et ensuite pendant près de deux ans. Durant tout cetemps, elle m'a paru la plus aimable et la meilleure créature du monde.Dans le cours de la dernière maladie de madame Frankenstein, ma tante,elle l'a soignée avec la plus tendre affection et le plus grand zèle.Depuis, elle a donné ses soins à sa mère, qui souffrait d'une cruellemaladie; et elle est devenue un objet d'admiration pour tous ceux qui laconnaissaient. À la mort de sa mère, elle est revenue à la maison demon oncle, où elle était aimée de toute la famille. Elle était fortattachée à l'enfant qui n'est plus, et elle était, pour lui, comme lamère la plus tendre. Quant à moi, je n'hésite pas à déclarer que,malgré toute l'évidence qui s'élève contr'elle, je la croisentièrement innocente. Rien n'a pu la porter à commettre l'actionatroce qui lui est imputée. Je dirai du bijou, dont on se sert pour lacharger le plus gravement, que je lui aurais volontiers donné, ellel'eût vivement désiré; tant je l'estime et l'apprécie».

Excellente Élisabeth! Un murmure d'approbation s'éleva; mais pour lagénéreuse personne qui intercédait, et non en faveur de la pauvreJustine, qu'on accusa d'une plus noire ingratitude, et qui excital'indignation publique avec une violence nouvelle. Elle pleura pendantle discours d'Élisabeth; mais elle ne répondit pas. Mon agitation etmon angoisse furent extrêmes, tant que dura le jugement. J'étaisconvaincu de l'innocence de Justine; j'en avais la certitude. Le démon,qui avait assassiné mon frère (car je n'en doutai pas une minute),allait aussi, dans son plaisir infernal, livrer une personne innocenteà la mort et à l'infamie. Je ne pus supporter l'horreur de masituation; et, dès que la voix du peuple, et la figure des juges,eurent annoncé la condamnation de ma malheureuse victime, je sortis dela cour dans des transes cruelles. Les souffrances de l'accusée nepouvaient égaler les miennes; elle était soutenue par son innocence;je me sentais déchiré par des remords dont je ne pouvais me délivrer.

Je passai la nuit la plus affreuse. Le matin j'allai à la cour, dans unétat qui enchaînait ma langue: je n'osai faire la fatale question;mais j'étais connu, et l'officier devina la cause de ma visite. L'urnefatale avait reçu les boules; toutes étaient noires; Justine étaitcondamnée.

Il me serait impossible de décrire ce que j'éprouvai alors. J'avaisauparavant connu des sensations d'horreur, et j'ai tâché de lespeindre par des expressions équivalentes; mais les mots ne pourraientdonner une idée du désespoir horrible auquel je fus en proie dans cemoment. La personne, à qui je m'adressai, m'apprit que Justine venaitd'avouer son crime. «Cet aveu, observa-t-il, était à peinenécessaire dans un cas aussi clair; mais je suis content qu'on l'aitobtenu, car aucun de nos juges ne voudrait condamner un crimineld'après les apparences, lors même qu'elles seraient aussi décisivesqu'aujourd'hui».

À mon retour à la maison, Élisabeth me demanda avec empressem*ntquelle était l'issue du procès.

«Ma cousine, répliquai-je, la décision est celle à laquelle vousdevez vous être attendue; tous les juges aimeraient mieux voir dixinnocents souffrir, que de laisser échapper un coupable. Au reste, ellea fait l'aveu du crime».

Ce fut un coup affreux pour la pauvre Élisabeth, qui avait eu uneconfiance inébranlable dans l'innocence de Justine.

«Hélas, dit-elle, comment croire désormais à la bonté humaine? Ehquoi! Justine pour qui j'avais une tendresse de sœur, n'avait-elle cesourire de l'innocence que pour me trahir? Ses yeux, où brillait ladouceur, semblaient inaccessibles à la sévérité ou à la mauvaisehumeur, et cependant elle s'est souillée d'un meurtre»!

Bientôt après, nous apprîmes que la pauvre victime avait témoignéle désir de voir ma cousine. Mon père n'était pas de cet avis; maisil la laissa maîtresse de décider, en l'engageant à réfléchir surcette visite. «Oui, dit Élisabeth, j'irai voir Justine, la coupableJustine; et vous, Victor, vous m'accompagnerez: je ne puis allerseule». L'idée de cette visite était un tourment pour moi, cependantje ne pus me refuser au désir d'Élisabeth.

Nous entrâmes dans une prison obscure. Justine était assise dans uncoin, sur la paille, les mains retenues par des menottes, et la têteappuyée sur les genoux. Elle se leva en nous voyant entrer. Lorsquenous fûmes seuls avec elle, elle se jeta aux pieds d'Élisabeth, enpleurant amèrement. Ma cousine ne put retenir ses pleurs.

«Ah! Justine, dit-elle, pourquoi m'as-tu enlevé ma dernièreconsolation? Je croyais à ton innocence; avec cette pensée, j'étaisbien malheureuse, mais je ne l'étais pas autant que je le suis àprésent».

—«Et croyez-vous aussi que je sois criminelle? Vous joignez-vousaussi à mes ennemis pour m'accabler»? Sa voix fut étouffée par sessanglots.

—»Lève-toi, ma pauvre fille, dit Élisabeth; pourquoi es-tu àgenoux, si tu es innocente? Je ne suis pas au nombre de tes ennemis; jet'ai crue innocente, contre toutes les apparences, jusqu'au moment oùj'appris que tu avais toi-même déclaré ton crime. Ce bruit est faux,dis-tu; sois bien persuadée, ma chère Justine, que ton aveu seul a puébranler un moment la confiance que tu m'inspires».

«J'ai fait un aveu; mais un aveu mensonger. Je l'ai fait, afind'obtenir grâce; et maintenant ce mensonge pèse plus sur mon cœur quetoutes mes fautes. Que le Dieu du ciel me pardonne! Depuis macondamnation, je suis sans cesse assiégée par mon confesseur. Il m'aeffrayée et menacée, au point que déjà je m'imaginais être lemonstre dont il me parle incessamment. Il m'a menacée del'excommunication et des feux de l'enfer, si je persévérais dans mesdénégations. Ma chère demoiselle, je n'avais personne pour mesoutenir; tout le monde me regardait comme une misérable, vouée àl'ignominie et à la mort. Que pouvais-je faire? Dans un moment que jedéteste, je souscrivis à un mensonge; et c'est seulement à présentque je suis vraiment à plaindre».

Elle s'arrêta pour fondre en larmes, et poursuivit en ces termes:«J'ai pensé avec horreur, mon excellente demoiselle, que vous mesoupçonneriez d'un crime que le démon seul peut avoir commis; moi quiavais su mériter l'estime de votre bienheureuse tante, et votreaffection personnelle. Cher Guillaume! bienheureux enfant, je lereverrai bientôt dans le ciel, où la paix nous est réservée; etc'est ma consolation, au moment où je vais souffrir l'ignominie et lamort».

—«Ah! Justine! pardonne-moi d'avoir pu un moment manquer de confianceen toi. Pourquoi faire un aveu? mais ne t'afflige pas, ma chère fille;je proclamerai partout ton innocence, et je forcerai d'y croire.Cependant il faut que tu meures; toi, ma compagne, toi qui étais pourmoi plus qu'une sœur. Je ne pourrai survivre à un malheur aussiaffreux».

«Ma chère, ma bonne Élisabeth, ne pleurez pas. Vous devriez me donnerdu courage en me parlant d'une meilleure vie, et m'élever au-dessus desmisères de ce monde d'injustice et de malheur. Mon excellente amie,livrez pas au désespoir».

—«Je tâcherai de te consoler; mais je crains que ce malheur ne soittrop profond et trop cruel pour admettre aucune consolation, car il nereste aucun espoir. Cependant, ma chère Justine, puisse le cielt'envoyer la résignation, et élever ton âme au-dessus de ce monde.Ah! combien je hais ses parades si vaines et si dérisoires! Unepersonne est-elle assassinée? une autre est aussitôt privée de la vieen souffrant de longues tortures. Alors, les bourreaux, les mains encoreteintes du sang de l'innocence, se persuadent qu'un tel acte est biengrand, et l'appellent compensation. Nom odieux! dès qu'il estprononcé, je sais qu'on va infliger des châtiments plus grands et plusaffreux, que n'en a jamais inventé le tyran le plus cruel pourrassasier sa vengeance. Ce que je dis n'est pas pour te consoler, maJustine, à moins que tu ne te réjouisses de sortir d'un séjour aussimalheureux. Hélas! plût à Dieu que je reposasse en paix avec ma tanteet mon aimable Guillaume, loin d'un monde qui m'est odieux, et deshommes que j'abhorre».

Justine sourit languissamment.

—«Voilà, ma chère demoiselle, du désespoir et non de larésignation. Il ne faut pas que je suive l'exemple que vous me montrez.Parlez de ce qui peut me donner du calme, et non de ce qui sert àaugmenter ma douleur».

Pendant cette conversation, je m'étais retiré dans un coin de laprison, pour cacher les horribles angoisses auxquelles j'étais enproie. Du désespoir! qui osait en parler? la pauvre victime, qui lelendemain allait franchir l'effrayante limite qui sépare la vie de lamort, n'éprouvait pas comme moi une agonie profonde et déchirante. Mesdents tremblaient les unes contre les autres; un soupir s'exhala du fondde mon cœur. Justine tressaillit, me reconnut, s'approcha de moi, etdit: «Mon cher monsieur, vous êtes bien bon de venir me visiter; vousne croyez pas, j'espère, que je sois coupable». Je ne pusrépondre.—«Non, Justine, dit Élisabeth, il est plus convaincu de toninnocence que je ne l'étais; car même après ton aveu, il ne voulaitpas y ajouter foi».

—«Je le remercie sincèrement. Dans ces derniers moments, j'ai la plusgrande reconnaissance pour ceux qui ont de moi une opinion favorable.Que l'affection des autres est douce pour une malheureuse comme moi!elle me soulage de plus de la moitié de mes maux; et je sens que jepuis mourir en paix, à présent que mon innocence est reconnue parvous, ma chère dame, et par votre cousin».

Ainsi, la pauvre victime cherchait, en consolant les autres, à seconsoler elle-même. Elle trouva enfin la résignation qu'elle désirait.Et moi, le véritable meurtrier, je sentis le remords s'élever dans monsein: remords impérissable qui devait ne me laisser ni espérance, niconsolation. Élisabeth, en larmes, était aussi plongée dansl'affliction; mais sa douleur était celle de l'innocence, et semblableà ce nuage qui obscurcit un moment les rayons de la lune, la cache pourun moment, et ne peut en ternir l'éclat. L'horreur et le désespoiravaient pénétré dans le fond de mon cœur; je portais en moi-même unenfer que rien ne pouvait éteindre. Nous restâmes plusieurs heuresavec Justine, et ce ne fut qu'avec beaucoup de peine qu'Élisabeth puts'en éloigner. «Je voudrais, s'écria-t-elle, mourir avec toi; je nepuis vivre dans ce monde de misère».

Justine affecta un air de gaîté, tout en retenant avec difficulté deslarmes amères. Elle embrassa Élisabeth, en disant, d'une voix àmoitié étouffée: «Adieu, bonne et chère Élisabeth, ma tendre etunique amie. Puisse le ciel dans sa bonté vous bénir et vousconserver! puisse ce malheur être le dernier dont vous ayez àsouffrir! Vivez, soyez heureuse; et que les autres soient heureux parvous».

En quittant la prison, Élisabeth me dit: «Vous ne savez pas, mon cherVictor, combien je suis soulagée, à présent que je suis convaincue del'innocence de cette malheureuse fille. Il n'y aurait plus eu de bonheurpour moi, si j'avais été trompée dans ma confiance en elle. Dans lemoment où je la croyais coupable, j'éprouvais une angoisse que jen'aurais pu supporter long-temps. Maintenant mon cœur est soulagé.L'innocente souffre; mais celle que je croyais aimable et bonne n'a pastrahi la confiance que j'avais en elle; et je suis consolée».

Aimable cousine! telles étaient vos pensées, douces comme vos yeux etvotre voix. Mais moi... j'étais un malheureux dont la douleur en cemoment, était au-dessus de toute imagination.

FIN DU TOME PREMIER

End of the Project Gutenberg EBook of Frankenstein, ou le Prométhée modere Volume 1 (of 3), by Mary Wollstonecraft Shelley*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK FRANKENSTEIN ******** This file should be named 62404-h.htm or 62404-h.zip *****This and all associated files of various formats will be found in: http://www.gutenberg.org/6/2/4/0/62404/Produced by Laura Natal Rodrigues at Free Literature (Imagesgenerously made available by Gallica, Bibliothèque nationalede France.)Updated editions will replace the previous one--the old editionswill be renamed.Creating the works from public domain print editions means that noone owns a United States copyright in these works, so the Foundation(and you!) can copy and distribute it in the United States withoutpermission and without paying copyright royalties. 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Redistribution issubject to the trademark license, especially commercialredistribution.*** START: FULL LICENSE ***THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSEPLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORKTo protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the freedistribution of electronic works, by using or distributing this work(or any other work associated in any way with the phrase "ProjectGutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full ProjectGutenberg-tm License (available with this file or online athttp://gutenberg.org/license).Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tmelectronic works1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tmelectronic work, you indicate that you have read, understand, agree toand accept all the terms of this license and intellectual property(trademark/copyright) agreement. 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See paragraph 1.E below.1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation"or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of ProjectGutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in thecollection are in the public domain in the United States. If anindividual work is in the public domain in the United States and you arelocated in the United States, we do not claim a right to prevent you fromcopying, distributing, performing, displaying or creating derivativeworks based on the work as long as all references to Project Gutenbergare removed. Of course, we hope that you will support the ProjectGutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works byfreely sharing Project Gutenberg-tm works in compliance with the terms ofthis agreement for keeping the Project Gutenberg-tm name associated withthe work. You can easily comply with the terms of this agreement bykeeping this work in the same format with its attached full ProjectGutenberg-tm License when you share it without charge with others.1.D. The copyright laws of the place where you are located also governwhat you can do with this work. Copyright laws in most countries are ina constant state of change. If you are outside the United States, checkthe laws of your country in addition to the terms of this agreementbefore downloading, copying, displaying, performing, distributing orcreating derivative works based on this work or any other ProjectGutenberg-tm work. The Foundation makes no representations concerningthe copyright status of any work in any country outside the UnitedStates.1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg:1.E.1. 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Hart is the originator of the Project Gutenberg-tmconcept of a library of electronic works that could be freely sharedwith anyone. For thirty years, he produced and distributed ProjectGutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printededitions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarilykeep eBooks in compliance with any particular paper edition.Most people start at our Web site which has the main PG search facility: http://www.gutenberg.orgThis Web site includes information about Project Gutenberg-tm,including how to make donations to the Project Gutenberg LiteraryArchive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how tosubscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
The Project Gutenberg eBook of Frankenstein Volume 1 (of 3), by Mary Wollstonecraft Shelley. (2024)

FAQs

What is Chapter 1 Volume 3 of Frankenstein about? ›

Victor and his father settle the question of Elizabeth's marriage; she is not consulted. Similarly, Victor alone decides that this wedding will only occur after he returns. She has no choice in the timing, either. Females are pawns; males are the decision makers.

What is Chapter 3 of Frankenstein by Mary Shelley about? ›

In the book's third chapter, Victor Frankenstein loses his mother to scarlet fever. He then travels to Ingolstadt to start his education and ultimately become a scientist.

How many volumes are in Frankenstein by Mary Shelley? ›

It was published in an edition of just 500 copies in three volumes, the standard "triple-decker" format for 19th-century first editions.

How many pages is Frankenstein Volume 3? ›

Product information
Publisher‎Union Square Kids (August 4, 2020)
Language‎English
Paperback64 pages
ISBN-10‎1454939710
ISBN-13‎978-1454939719
7 more rows

What happened in chapter 1 of Frankenstein by Mary Shelley? ›

In Chapter 1 of Frankenstein, Victor Frankenstein begins the story of his life by detailing his family background and early childhood. Victor's father is Alphonse Frankenstein, an important and well-respected statesman in the Republic of Geneva.

How many chapters are in volume 3 of Frankenstein? ›

Answer and Explanation: There were 23 chapters in the original 1818 edition of Mary Shelley's Frankenstein; or, The Modern Prometheus. This edition was published in three volumes, with seven chapters in volumes 1 and 3 and nine chapters in volume 2.

What happened in chapter 4 of Frankenstein Volume 1? ›

Analysis of Frankenstein Chapter 4. Chapter 4 is a critical chapter in the development of Frankenstein. Victor embarks on a mission to discover how life works, and, in the process, he discovers how to animate dead organic material. He begins assembling a giant human-like creature to animate.

How many pages is Frankenstein volume 1? ›

The 1823 edition was published in just two volumes and included 249 pages in Volume 1 and 280 pages in Volume 2. Some printings of the books have different page counts due to page sizes, illustrations, or added information.

Which edition of Mary Shelley's Frankenstein is best? ›

In total, there are five significant versions of Frankenstein, but the 1831 edition was typically considered the authoritative edition due to Mary W. Shelley's significant revisions.

What is the theme of Frankenstein volume 1? ›

One major theme of volume 1 is the thirst for knowledge, which is shared by both Walton and Frankenstein. Another major theme is loneliness. Walton complains to his sister that he has no friends, and Frankenstein voluntarily isolates himself from his friends.

What happens in chapter 1 volume 3 of Frankenstein? ›

Victor, reluctant to begin work on the female companion, spends many weeks in Geneva. His father brings up the subject of his expected marriage to Elizabeth. Victor decides he must create the companion before marrying Elizabeth, and leaves for Britain.

What 3 books does Frankenstein read? ›

The monster reads Milton's Paradise Lost, portions of Plutarch's Lives, and Goethe's Sorrows of Young Werther. While many critics examine the texts in terms of their relation to different Romantic literary movements, I am more concerned with the effects of these texts on the monster himself.

What is Frankenstein Volume 2 about? ›

In Volume II of Frankenstein author Mary Shelly depicts the protagonist, Victor Frankenstein in deep distress after his creation killed his younger brother William. Victor wants vengeance on the monster that killed Justine and William. In order to “seek relief” from the situation Victor goes to the valley of Chamounix.

What is the theme of Frankenstein Volume 1? ›

One major theme of volume 1 is the thirst for knowledge, which is shared by both Walton and Frankenstein. Another major theme is loneliness. Walton complains to his sister that he has no friends, and Frankenstein voluntarily isolates himself from his friends.

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Author: Prof. Nancy Dach

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Name: Prof. Nancy Dach

Birthday: 1993-08-23

Address: 569 Waelchi Ports, South Blainebury, LA 11589

Phone: +9958996486049

Job: Sales Manager

Hobby: Web surfing, Scuba diving, Mountaineering, Writing, Sailing, Dance, Blacksmithing

Introduction: My name is Prof. Nancy Dach, I am a lively, joyous, courageous, lovely, tender, charming, open person who loves writing and wants to share my knowledge and understanding with you.